Petit guide pour disparaître doucement au festival Actoral
© Félix-Antoine Boutin
Par Sébastien Bouthillier
Félix-Antoine Boutin fabule un monde enchanté où poésie, bricolage et origami le remplacent sur scène quand il disparaît. Dans son spectacle présenté au festival Actoral, Petit guide pour disparaître doucement, le jeune homme allie l’introspection psychanalytique à la philosophie existentielle. En entrevue à MatTv, le prolifique créateur de 27 ans se dévoile à l’aube du festival consacré à l’exploration et aux œuvres en chantier en danse, théâtre et littérature jusqu’au 5 novembre à l’Usine C.
Une question a déclenché la création de ton spectacle…
Oui, comment disparaître sur scène? J’ai ouvert plusieurs horizons en partant de cette simple question. À la manière d’un scientifique, j’ai exploré des hypothèses, testé une foule de trucs et développé du matériel durant deux ans sur le thème de la disparition.
Comment y réponds-tu?
Par la poésie parce qu’elle permet de laisser de côté l’ego, de mieux se comprendre comme être humain. La société impose qu’on se définisse tôt dans la vie, notamment quant au choix de carrière dès l’école secondaire. Pourtant, je ne me comprends pas tellement et je trouve que c’est bien, une occasion pour me questionner.
Te considères-tu trop sensible?
Oui, je suis sensible : je réagis fortement aux situations. À mes yeux, c’est positif même si passer à travers la vie me semble parfois lourd. Malheureusement, je déplore qu’il faut le cacher dans notre monde d’efficacité, alors que la base de mon métier consiste à ressentir.
Quel lien tires-tu entre sensibilité, enchantement et magie dans Petit guide pour disparaître doucement ?
Ah! La poésie est mon cheval de bataille! Je crois au pouvoir de la poésie car, grâce à elle, en ne posant pas de jugement définitif sur les choses concrètes, je parviens à mieux percevoir une réalité plus juste, nuancée et ouverte à l’interprétation.
Dans mon spectacle, en plus de la poésie textuelle, je crée des images porteuses de sens. Mon idée consiste à proposer un univers de réflexion où je soulève des questions sans rien affirmer. Par l’émerveillement, j’espère que le public s’appropriera ma réflexion. Le théâtre est un espace de magie exceptionnel où la capacité du public à se laisser surprendre dépasse celui d’autres médias.
Au quotidien, qui es-tu?
(Éclats de rire) Hors de mon rôle, je pense aussi en métaphores au jour le jour! Je commence à moins prendre en pleine figure les choses… Rassurez-vous, je suis heureux et j’ai des amis! Il y en a un qui a craint que je me suicide quand j’ai parlé de disparaître, mais ma disparition n’a rien à voir avec la mort. D’ailleurs, je démantèle l’aura négative entourant la disparition, car de l’effacement de soi émane l’altruisme, des pensées plus grandes et un souci de la collectivité.
© Odile Gamache et Félix-Antoine Boutin
Que fabrique-tu, Félix-Antoine Boutin?
Depuis mes débuts, j’incorpore l’artisanat dans mes pièces parce que le travail de la matière est un travail sensible qui m’approche de moi-même. Le geste de construire un objet sur scène, je le trouve chaleureux. Dans Petit guide pour disparaître doucement, il y a des moments de bricolage.
Mais que deviens-tu après ta disparition?
Le spectacle commence avec des gestes concrets que je pose sur scène, puis d’autres choses me remplacent au fur et à mesure que je disparais. Mais c’est choses-là disparaissent à leur tour… Ce qui advient ensuite est de l’ordre de l’ouverture.
Et si nous comparons avec Animal mort, ton précédent spectacle…
Dans ce spectacle-là, les personnages se transformaient pour devenir une autre chose. Maintenant, mon personnage s’efface pour que vivent de plus en plus de choses. Le phénomène devient exponentiel.
À qui t’adresses-tu?
Au plus de gens que possible. Les adultes s’y retrouveront puisque j’évoque des thèmes universels, les expériences marquantes, le deuil, les épreuves à surmonter, la relation avec les autres… Et comme je vois le monde à partir de mon vécu de jeune homme de 27 ans, ma génération risque de s’y retrouver aussi. À Marseille, la pièce figure au parcours des lycéens et les images interpellent autant ce public.
Mes œuvres sont accessibles à tous sans que je nivelle par le bas. Animal mort, spectacle difficile à capter, a été le plus apprécié par ceux qui sortaient au théâtre pour la première fois. Ils s’y rendaient peut-être sans idées préconçues. Je tends la main au public pour le convier à voir des créations pointues, mais qui les toucheront.
Tu évoques Marseille, où as-tu créé ton spectacle?
À Bruxelles, dans un laboratoire de recherche fondamentale, L’L, grâce à un partenariat avec Actoral. Depuis mars 2014, en alternant mensuellement entre Montréal et la Belgique, je vis ma première expérience de création en Europe. La production a débuté au printemps dernier. Elle représente la dernière phase durant laquelle j’ai assemblé les éléments du casse-tête avec les gens de confiance qui m’entourent.
Tu te compares à un scientifique dans son laboratoire…
Il s’agit d’un véritable laboratoire créatif où je travaille avec des installations et de la performance. Une matière textuelle riche et plutôt complexe en résulte. Comme j’écris énormément sans fil conducteur pour dépasser mes habitudes, explorer de nouveaux territoires et développer des images scéniques, mon défi consiste à livrer un spectacle en ne conservant que l’essentiel. Je vous propose donc de venir voir Petit guide pour disparaître doucement.
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Prolifique auteur et metteur en scène, Félix-Antoine Boutin aligne les pièces depuis sa graduation de l’École nationale de théâtre en 2012 :
– Animal mort (2016)
– Dévoilements simples (2015)
– Koalas (2014)
– Archipel (150 haïkus avant de mourir encore) (2014)
– Orphée karaoké (2014)
– Message personnel (2013)
– Le sacre du printemps (2013)
En outre, Pierre Lapointe, Alex Nevsky, Josha, Jean-François Malo et Sophie Cadieux l’ont chacun invité à collaborer avec eux.
Comme interprète, Félix-Antoine Boutin a apparu au cinéma dans Chameau, lion, enfant de Stéphane Beaudoin et Un comte pour enfants de Renée Beaulieu, mais aussi au théâtre dans le Ventriloque de Larry Tremblay.
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Petit guide pour disparaître doucement à l’Usine C les 1er et 2 novembre.
Crédit photo : Félix-Antoine Boutin (page couverture) et Félix-Antoine Boutin et Odile Gamache (image)
Texte révisé par : Marie-Claude Lessard