Incursion au cœur de l’immensité
Par : Justine Millaire
Le 31 octobre dernier a été ouverte l’exposition Le Déploiement de la photographe et vidéaste Emmanuelle Léonard. Sous le commissariat de Louise Déry, cette exposition nous permet de découvrir le résultat d’un séjour dans le Grand Nord en 2018 où l’artiste a suivi les forces armées canadiennes dans le cadre d’une opération d’affirmation de la souveraineté du pays dans le cercle polaire. L’artiste a travaillé dans le cadre du Programme d’Art des Forces Armées Canadiennes (PAFC).
Cette exposition tient autant du photoreportage et du documentaire que de l’installation artistique. Les photos exposées montrent les soldats canadiens dans les immenses paysages de l’arctique, complètement anonymes dans leurs uniformes qui les recouvrent entièrement pour les protéger des conditions hostiles auxquelles ils font face. Des projections vidéo nous permettent de les voir en mouvement et s’entraîner à travailler dans le froid polaire sous la supervision de rangers inuit. Au cœur d’un tel environnement, tous ces exercices apparaissent tantôt impressionnants, tantôt futiles.
Emmanuelle Léonard s’intéresse ici aux rapports de hiérarchies, mais aussi aux sursauts d’individualité qui peuvent survenir même dans ces situations où l’humain semble se perdre dans ce qui l’entoure. J’ai été particulièrement marquée par une projection vidéo en diptyque, Opération Nunalivut (2019), au cœur de l’exposition. On y voit entre autre les soldats dans un avion devant les conduire à Resolute Bay, au Nunavut. À première vue, ces hommes et ces femmes sembles tous identiques, mais plus on prend le temps la peine d’observer, plus les détails remontent à la surface. L’un est en train de lire un roman, l’autre écoute sa musique en dansant sur place avec un sourire sincère, chaque personnalité ressort à la faveur de petits moments comme ceux-là.
Les photographies sont également d’une très grande force. Les paysages d’un blanc immaculés sont magnifiés par la technique de l’artiste, qui leur restitue toute leur immensité. J’ai été intriguée par la photographie Ranger la nuit, Resolute. Le regard du sujet et son sourire tranchait fortement avec le reste de l’exposition et m’a sincèrement touchée. Le contact humain de ce portrait était d’une grande force et de ce que j’ai pu en voir des autres gens présents, peu ont été laissé indifférents par cette photographie.
J’ai été étonnée d’une incursion de l’art dans un milieu comme celui des forces armées. Au départ, je me demandais si la démarche artistique d’Emmanuelle Léonard n’allait pas être biaisée par le fait qu’elle soit présente dans le cadre du PAFC. Pourtant, cela n’est pas le cas. Il n’y a rien de politique dans cette exposition, et l’artiste semble maintenir toute sa liberté dans son processus de création. Le résultat est donc à mille lieux de ce à quoi on pourrait s’attendre. Il n’y a rien de patriotique, la nation s’efface autant que les personnes peuvent le faire.
L’artiste présente également le début de deux projets qu’elle a amorcé en Colombie, l’un avec des soldats et l’autre avec des mineurs. Elle propose ainsi, dans des environnements complètement différents, une réflexion similaire.
J’ai été agréablement surprise par la force des images proposée par Emmanuelle Léonard dans Le Déploiement. L’exposition sera présentée à la Galerie de l’UQAM jusqu’au 25 janvier 2020. Une visite commentée avec l’artiste et la commissaire aura d’ailleurs lieu le samedi 23 novembre 2019 à 15 heures. L’occasion de découvrir un peu plus la démarche de cette artiste.