L’anti-pièce
Le public rit. Mais La Cantatrice chauve n’est pas drôle. C’est une pièce étrange, qui n’a pas un début, ni un milieu, ni une fin. Les personnages parlent entre eux sans dialoguer. Cette pièce sur l’étrangeté écrite par Eugène Ionesco en 1950 révèle l’absurdité de l’existence. Les spectateurs constatent que la vie est dépourvue de sens.
Après souper, M. et Mme Smith (Pierre Limoges et Ansie St-Martin) nous apprennent le décès de Bobby Watson. Toutes les confusions possibles surviennent alors parce que leurs connaissances s’appellent Bobby Watson de père en fils et de mère en fille.
Ionesco illustre l’absurdité du monde en décortiquant le langage, en séparant le lien entre le sens des mots et les choses qu’ils désignent. « Un médecin consciencieux doit mourir avec le malade s’ils ne peuvent guérir ensemble. Le commandant d’un bateau périt avec le bateau, dans les vagues. Il ne lui survit pas », met-il dans la bouche de M. Smith.
Mary (Catherine Larochelle), la bonne, introduit les Martin (Simon Dépot et Monelle Guertin), qui visitent les Smith à l’improviste. Après une longue série de déductions, les Martin conviennent qu’ils sont époux. « Comme c’est bizarre, curieux, étrange. Alors, Madame, nous habitons dans la même chambre et nous dormons dans le même lit, chère Madame. C’est peut-être là que nous nous sommes rencontrés! »
Leur reconnaissance dure peu longtemps parce que Mary, dans sa naïveté, soulève le doute à ce sujet. S’ensuit un échange de politesses convenues entre les deux couples jusqu’à ce qu’on sonne à la porte…
Encore une fois, Ionesco saccage les conventions. Pourquoi personne n’est à la porte alors qu’on a sonné? Les Smith et les Martin argumenteront pour se convaincre qu’il n’y aura personne la fois suivante, mais le capitaine des pompiers (Éliot Laprise) s’y trouvait la quatrième fois. « Rien du tout? Vous n’auriez pas un petit feu de cheminée, quelque chose qui brûle dans le grenier ou dans la cave? Un petit début d’incendie, au moins? »
Décalé face à ses hôtes et aux Martin, le capitaine raconte ses anecdotes de pompiers. Chaque fois qu’il s’apprête à les quitter, les Smith s’empressent de le retenir par de chaleureux commentaires. Leur langage corporel trahit leur politesse cependant. À nouveau, Mary, dans sa candeur, avoue brûler de désir pour le pompier.
Pascal Robitaille a composé la musique. Il joue sur scène, près des acteurs. Grâce à lui, la musique supplée l’absurdité du langage. Ses notes donnent du sens quand les mots des comédiens l’ôtent. Cela évite aux spectateurs de sombrer dans l’abîme avec les Smith et leurs invités.
La Leçon
Des spectateurs pigent les noms des trois acteurs de La Cantatrice chauve qui joueront La Leçon après l’entracte. Cette pièce met en scène un professeur qui abuse de son autorité et du pouvoir des mots pour inculquer sa volonté à son élève. Mais le professeur s’exaspère malgré les avertissements de la bonne. Une autre élève sonne de suite à la porte du professeur, qui recommence son numéro. La Leçon dévoile l’absurdité des connaissances : arguments d’autorité et pétitions de principe au fondement du savoir.
La Cantatrice chauve suivie de La Leçon sont présentées jusqu’au 28 février par le Théâtre des Fonds de Tiroirs au Théâtre Denise-Pelletier.
Crédit photo: ©Frédérique Ménard-Aubin