Embrasser des tabous
Par : Marie-Claude Lessard
André Forcier est un cinéaste à part. Il n’aborde pas les tabous de la société comme les autres. Il se fout des conventions et de la satisfaction des journalistes. Il fait du cinéma pour la poésie, pour critiquer et pour révolutionner le médium. Il faut absolument avoir ces balises en tête avant de visionner sa nouvelle oeuvre, Embrasse-moi comme tu m’aimes, à l’affiche depuis le 16 septembre, pour apprécier cette proposition délirante, folle et complètement jouissive.
1940. L’Europe est en guerre. Pierre Sauvageau (extrêmement solide Émile Schneider), jeune Québécois de 22 ans, souhaite s’enrôler, mais l’infirmité de sa sœur jumelle, Berthe (ahurissante et sublime Juliette Gosselin), lui en empêche puisque leur mère (pétillante Céline Bonnier), chapelière, n’a plus la force de s’occuper de sa fille sur une base régulière. Comme Pierre est le seul homme dans sa vie, Berthe s’amourache de son frère, tellement qu’elle hante les fantasmes de ce dernier qui, bien qu’il éprouve des sentiments pour la frondeuse Marguerite (rafraîchissante Mylène Mackay), est incapable de l’embrasser et exprimer librement son amour. Autour de Pierre et Berthe gravitent des personnages tout aussi forts et émouvants illustrant diverses facettes des sentiments amoureux : l’idéaliste Ollier (Luca Asselin), le meilleur ami de Pierre, Elphège Allard (Réal Bossé, qui livre la prestation la plus bouleversante (ça sent le Gala du cinéma québécois!)), Réal (puissant Antoine Bertrand) et Narcisse (méconnaissable Roy Dupuis).
Agrémentée d’une direction photo splendide et captivante, l’oeuvre, tout en déstabilisant, donne envie d’aimer, de se laisser emporter par la liberté que procure l’amour. À travers de métaphores à la fois magnifiques et déroutantes, André Forcier explore les tabous de l’époque (l’homosexualité, la religion, entre autres choses) sans complaisance, ce qui a pour effet de happer davantage les spectateurs. Les acteurs s’abandonnent complètement dans cet univers, au plus grand plaisir du public. Naviguant sans cesse entre rêve et réalité, Embrasse-moi comme tu m’aimes, lauréat de deux prix au Festival des films du Monde de Montréal pour lequel il a été le film d’ouverture, mérite plus de visibilité car les cinéphiles seront comblés et troublés, ce qui résume parfaitement la fonction première du cinéma.
Note: 3.5/5
Texte révisé par : Matthy Laroche