Ce qui se cache sous la surface
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Par : Justine Millaire
Le 6 février a eu lieu le vernissage de These Rooms of Earth and Stone, exposition en binôme de Michel Boulanger et Katja Davar présentée à la Galerie de l’UQAM. J’ai eu la chance de discuter avec l’artiste Michel Boulanger, ainsi qu’avec la commissaire Simone Scholten.
Les artistes, alliant le dessin, le dessin numérique, la sculpture, l’impression et l’animation 3D, élaborent dans le cadre de cette exposition une réflexion sur l’interrelation entre l’être humain et son environnement et sur la manière dont l’activité humaine laisse sa marque jusque dans la terre, des thématiques qui font partie depuis longtemps des pensées et du travail des deux artistes.
Katja Davar, originaire de Londres travaille à partir de diverses formes historiques ou scientifiques pour composer des dessins et animations. Ses œuvres sont souvent des explorations du monde souterrain, subdivisant les diverses couches de la Terre à la manière des plans de l’industrie géologique pour élaborer une réflexion sur le passé et sur l’avenir. Ainsi, What the Mountains Should Have Said (2020) s’inspire d’une fresque peinte dans la cathédrale Prato en Italie et mêle la montagne qui y est représentée d’un enchevêtrement complexe de tuyaux.
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Michel Boulanger, né à Montmagny, s’inspire entre autres du dessin industriel pour élaborer des œuvres semi figuratives à mi-chemin entre le physique et le virtuel. L’une des œuvres dont il est présentement le plus fier illustre parfaitement ce style. Retombée (2020) est une œuvre hybride, à la fois dessin numérique et sculpture. La structure, en équilibre précaire, semble s’enfoncer dans un sol meuble, comme une ruine industrielle retournant progressivement à la terre. On peut y voir également un objet physique engagé dans un processus de métamorphose pour devenir une idée, une abstraction.
Les deux artistes se connaissent depuis plusieurs années, mais il s’agissait de la première fois qu’ils réalisaient une exposition en binôme de cette manière. Le travail en duo, selon Boulanger, a été extraordinaire. Les deux ayant une parenté dans les styles et les thèmes, la travail s’est fait naturellement, nourri par leurs conversations.
L’essentiel des œuvres ont été créées pour ce projet, mis à part une production en animation 3D, Giration 1, Rouler (2017-2019), sur laquelle Boulanger travaillait depuis plusieurs années et qui a été complétée pour These Rooms of Earth and Stone. Cette projection, qui forme une boucle parfaite et qui est accompagnée d’une musique entêtante, représente un tracteur agricole qui chercher à s’extirper d’une épaisse flaque de boue. L’artiste parle de ce tracteur comme d’un Sisyphe tentant de terminer le même travail sans jamais y arriver.
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Au niveau de la mise en espace, Boulanger explique qu’ils ont cherché à ce que les œuvres de Davar soient présentées sur un plan vertical alors que ses œuvres s’inscrivent sur le plan horizontal. Simone Scholten a également fait part de leur intention de jouer avec l’espace. En effet, si chaque œuvre est placée pour pouvoir être contemplée individuellement, il est également possible en se tenant à certains endroits d’en observer plusieurs simultanément, créant ainsi différents niveaux de perspective au sein du paysage de l’exposition.
Il me reste de cette exposition une impression très forte. Les couleurs étaient exclusivement dans les tons du gris et du noir mêlé çà et là de blanc, rappelant par moment la terre, par moment la poussière de charbon et l’acier. Pourtant, ces couleurs avaient quelque chose de très lumineux, particulièrement dans le cas des œuvres de Davar. Autre élément marquant : le travail des textures. Les angles nets de la série Obsolète (2019) de Michel Boulanger contrastent magnifiquement avec la fluidité des quatre dessins suspendus de Katja Davar (Reading a Rock (2019), An Essay on Taste (2019), Vertical Poetry (2019) et Molton Fluid (2019)).
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La texture est également l’un des éléments les plus fascinants de l’œuvre en animation 3D Tugs on a Thread (2019) réalisée par Katja Davar. On y voit des ailes, sur lesquelles sont appliquées des dessins de l’artiste, battant délicatement dans les airs. Cette vision est intercalée de plans montrant un lourd tissage transporté par un rouleau, qui vu d’aussi proche rappelle autant le monde industriel qu’une plaque tectonique faisant son chemin sous la surface.
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Boulanger explique que cette exposition n’a pas vraiment l’intention de communiquer un message précis, mais plutôt de provoquer la réflexion et de susciter un ressenti. Dans mon cas, je dois dire que c’est réussi. Si vous avez envie de prendre part à cette exploration, These Rooms of Earth and Stones sera présentée jusqu’au 21 mars 2020.