Énigme théâtrale échevelée
© Matthew Fournier
Par : Sébastien Bouthillier
« Dans la détresse, à quoi sert l’imaginaire? », se demande la metteure en scène Catherine Vidal. Elle puise sa réponse dans Je disparais, une pièce labyrinthique où une kyrielle de tableaux s’enchevêtrent sans liens évidents. Mais le public demeure interloqué.
Devant la situation insupportable qu’elles subissent, deux femmes fuient urgemment pour se réfugier ailleurs. L’endroit de cet ailleurs, c’est aussi dans leur imagination : lieu d’anticipations du bonheur, de prémonitions du mauvais augure et de rétrospectives nostalgiques.
Entre réalité et délire, elles s’inventent une existence à nouveau tolérable comme s’il leur était possible de revivre comme avant, normalement. D’emblée, Marie-France Langlois soulève la question de l’empathie, thème de la pièce. C’est le sentiment de bon aloi que la rectitude morale victimaire commande envers les réfugiés, les terrorisés, les éclopés du monde post-moderne, désœuvré et décadent, qui nous aspire.
Dans le rôle de Moi, Marie-France Lambert, et Macha Limonchik en son alter ego, Mon amie, excellent à incarner la détresse, l’abandon et le dénuement, l’imminence d’un irréversible basculement. Mais la pièce n’offre aucun repère : ni lieu, ni temps sauf quelques inscriptions projetées sur le mur : « Un peu plus tard », « Une semaine plus tard », « Un mois plus tard », qui ne permettent pourtant pas de mieux situer les tableaux dans leur séquence.
Arne Lygre explique qu’il recourt à son intuition pour créer une pièce : « Pour Je disparais, c’était l’image d’une femme dans une maison où elle n’est plus en sécurité, où elle a vécu toute sa vie et qu’elle doit maintenant quitter. » Il élabore un monde détaché de référence concrète à la réalité, chacun étant libre d’inférer ce qu’il souhaite.
L’angoisse ressort de ce théâtre intellectuel où le texte domine le jeu. « Il s’est agi essentiellement pour moi d’explorer le langage de cette femme, la façon dont il se manifestait à travers ses relations avec les gens qui l’entourent », élabore l’auteur norvégien.
Vers la fin de la pièce, la brève apparition de James Hyndman laisse le spectateur en état de manque, son rôle est mineur. Bref, c’est une pièce à mode d’emploi, un « guide de l’utilisateur » est requis pour comprendre, à moins de préalablement se renseigner sur le style de Lygre. Heureusement, Guillaume Corbeil a brillamment traduit la pièce en français québécois (ce qui ne veut pas dire en joual).
Quand Moi hurle « Je veux sortir d’ici! », le spectateur pensera « Moi aussi! » en voyant les lueurs rouges du signe Sortie se répandre dans la totale obscurité de la salle. Quelques tableaux humoristiques décalent du drame, notamment celui où les deux amies se font bronzer…
Je disparais, au théâtre Prospero jusqu’au 21 octobre.
Crédits photo : Matthew Fournier
Texte révisé par : Annie Simard