Bouleversant portrait de famille
Par : Marie-Claude Lessard
Gagnant du Grand Prix et du Prix du Jury œcuménique au plus récent Festival de Cannes, Juste la fin du monde de Xavier Dolan débarque cette semaine simultanément dans les salles obscures du Québec et de la France. Si, il y a deux ans, le merveilleux Mommy, gagnant du Prix du Jury, a fait l’unanimité, l’oeuvre adaptée de la pièce de Jean-Luc Lagarce a, quant à elle, subi des opinions partagées. Même que le réalisateur prodige a en souffert momentanément. Les critiques dévastatrices ne sont nullement justifiées et ne doivent en aucun cas vous dissuader de visionner ce drame poignant dont vous ne sortirez pas indemnes. Si vous évitez de le comparer à Mommy, vous trouverez en Juste la fin du monde un film troublant qu’il faut revoir plusieurs fois pour saisir toutes ses subtilités.
La prémisse semble simple mais, comme c’est toujours le cas en présence d’un Dolan, elle dissimule plusieurs couches de réflexions. Lagarce relate le retour à la résidence familiale de Louis (Gaspard Ulliel), un auteur à succès qui n’a pas revu les siens depuis plus de 12 ans. Alors que sa sœur Suzanne (Léa Seydoux) et sa mère (Nathalie Baye) se réjouissent de ces retrouvailles, son frère Antoine (Vincent Cassel) n’entend pas à rire. La femme d’Antoine, la timide Catherine (Marion Cotillard), devine que la visite de Louis n’en est pas une de courtoisie, mais bien un prétexte pour annoncer son décès imminent.
D’une durée de 97 minutes, Juste la fin du monde se déploie en pleine canicule lors d’un déjeuner en famille qui s’éternise. Entre le service des crudités et le plat principal, de vieilles rengaines refont surface et déclenchent des torrents de venimosité, de haine et de tendresse enfouie. Les non-dits se dévoilent au travers d’insultes et de banalités qui, déclamées avec une brutalité si incendiaire, déroutent lors du premier acte, tellement que les protagonistes paraissent d’abord trop hermétiques pour s’avérer attachants. Heureusement, les spectateurs acclimatés à l’univers de Dolan se sentiront rassurés par la signature du réalisateur qui ne cesse d’impressionner par son intelligente analyse des codes cinématographiques. Les décors kitsch au possible, les gros plans empreints d’émotions, les pertinentes métaphores soudaines, la poésie des retours en arrière, une trame sonore inusitée et fascinante qui transporte la portée dramatique des intrigues à un autre délicieux niveau, la direction photo époustouflante d’André Turpin… Donc, encore une fois, celui qui fait la fierté de tout le Québec démontre son génie tout en sachant se renouveler dans ses idées éprouvées.
En ce qui concerne le langage, même un cinéphile qui a vu une pléiade de films français se verra confronté à un temps d’adaptation, particulièrement parce que Xavier Dolan a, jusqu’alors, toujours accordé une place de choix au joual. Une fois habitué, le public savoure pleinement toutes les complexités des dialogues, s’identifiant dans les nombreux travers des personnages, leurs tentatives de réconciliation et l’amour profond qu’ils se portent les uns envers les autres, mais qu’ils expriment maladroitement. Oui, ils se crient dessus et s’injurient pour des stupidités. Certes, ils pleurent abondamment et exhibent leur égocentrisme. Mais, derrière tout cela, aussi surprenant que cela puisse paraître, il existe de la colère et de la tristesse réprimées. Les spectateurs perçoivent aisément ces sentiments et se laissent embobiner par l’attente du déchaînement des passions, de la douloureuse révélation de Louis. Lagarce et Dolan leur réservent une finale inattendue, renversante par sa cruelle vérité. Un grand moment de cinéma livré par une distribution au sommet de son art. Toutes les têtes d’affiche, sans exception, tirent leur épingle du jeu, ce qui est loin d’être étonnant étant donné l’exceptionnel talent de mise en scène et de direction d’acteurs de Dolan.
Incarnant le romancier réservé qui a choisi l’exil plutôt que de confronter ses problèmes familiaux, Gaspard Ulliel cerne avec justesse les regrets et la crainte de mourir de son personnage. On croit à son désarroi. En mère excentrique imparfaite, Nathalie Baye arrache le cœur dans une scène d’adieu filmée sobrement où les regards parlent plus forts que les mots. Dans le rôle du frère colérique qui en a marre des faux-semblants et de la glorification de son cadet, Vincent Cassel cache une sensibilité déchirante qui excuse presque l’attitude exécrable qu’il témoigne envers sa femme, jouée magistralement par Marion Cotillard.
Le film est à l’affiche depuis le 21 septembre 2016. Cliquez sur ce lien pour découvrir les cinémas qui le projettent.
Note : 3.5/5
Texte révisé par : Matthy Laroche