Du suspense comme au cinéma au théâtre Prospero
© Matthew Fournier
Par : Sébastien Bouthillier
Dans une langue crue et concise, Richard (Justin Laramée) et Corinne (Delphine Bienvenu) chuchotent dans la pénombre. Installés dans leur immense maison à la campagne depuis qu’ils ont quitté la ville, ils se manifestent trop de bienveillance pour ne pas se soupçonner de quelque chose… Chaque époux retourne à l’autre ses questions sans y répondre, soupesant un mot ou commentant le vocabulaire de l’autre.
Ciseaux en main, Corinne découpe des images d’un magazine. Le bruit des lames tranchant le papier semble de mauvais augure. Puis une coupure au pouce porte à envisager une désagréable fatalité… L’obscurité où nous plonge la mise en scène de Jérémie Niel nous aspire dans l’ambiance louche de leur cuisine.
Loin de vivre en campagne ensoleillée, ce couple s’envase en plein marécage. La menace pèse sur leur union lorsque le médecin Richard amène Rebecca (Victoria Diamond), une étrangère qui surgit dans la maisonnée pour ne plus la quitter. Le mari l’a trouvée évanouie sur le bord de la route – selon ce qu’il dit à son épouse. Ainsi, le couple a fui la ville avec ses deux enfants, mais quelque chose les poursuit. Les voilà isolés.
« Si la violence est dans le texte, il n’y a aucune nécessité de la représenter sur le plateau. La violence est présente partout, sourde, affleurant à la surface de nos vies », déclare l’Anglais Martin Crimp, auteur de la pièce. En créant des personnages qui ne viennent jamais sur scène, il accentue l’ambiguïté. En se libérant de l’obligation de montrer les actions, il enfonce le récit dans l’imagination du spectateur plus en profondeur.
Richard s’embobine, Corinne refuse de tenir compte de la vérité par excès de naïveté, et Rebecca préfère se raconter l’histoire plutôt que vivre au présent. Ils se mentent à eux-mêmes et aux autres. Ils simulent et fantasment leur bonheur selon Jérémie Niel, pour qui ils nourrissent pourtant l’espoir romantique de réconciliation amoureuse.
Grâce à la langue du traducteur Guillaume Corbeil, la salle retient encore son souffle à la fin de la pièce, hésitant à applaudir dans l’attente d’une ultime réplique trompeuse.
La campagne au théâtre Prospero jusqu’au 22 octobre.
Crédit photo : Matthew Fournier
Texte révisé par : Annie Simard