Plus humain que machine
Par : Jean-Claude Sabourin
L’histoire d’Alan Turing, mathématicien britannique de génie, montre que les actes d’une autre époque peuvent trouver écho dans notre monde contemporain. La Machine de Turing, pièce présentée par le Théâtre du Rideau Vert nous rappelle que le respect de la diversité en matière d’orientations sexuelles reste une réalité récente et que les racines de l’intelligence artificielle plongent dans un temps plus lointain qu’on pourrait le croire.Turing a dû supporter des différences comme un boulet douloureux. Le texte de Benoît Solès, auteur de la pièce, possède la force de la précision succincte et chaque mot nous décrit avec justesse les tourments qu’entraînent le génie et l’homosexualité dans un monde dirigé par la violence. Un monde qui sépare Turing de ceux qu’il aime.
Turing ne se tourne pas vers les machines pour s’éloigner de son humanité, mais bien pour ne pas la perdre. On pourrait s’attendre de l’inventeur de l’ordinateur à une froide logique. Mais non, le scientifique incarne plutôt un objet de faïence qui renferme quelque chose de bien chaud et que l’on empêche d’irradier.
Turing crée la machine parce qu’on lui demande de sauver la Grande-Bretagne, mais il y intègre des émotions, son besoin de vivre la proximité et son désir de trouver un compagnon à l’esprit inédit, comme lui. Alors que le monde véritable se referme devant lui, son inventivité le sauve. Le scientifique se demande même si les machines peuvent penser.
Benoît McGinnis est magistral dans ce rôle plein de vulnérabilités, de créativité et de courage. Son interprétation nous rend Alan Turing fragile et puissant tout à la fois. Il est entouré de Gabriel Cloutier Tremblay, Jean-Moïse Martin et Étienne Pilon qui sont tout simplement brillants. Une étrange maturité émane d’ailleurs de Martin et Pilon. Un peu comme s’ils s’étaient imbibés des huit décennies nous séparant du récit.
De plus, l’économie de moyen déployée par la mise en scène de Sébastien David procure un impact maximal. Une judicieuse utilisation d’images et de musique vient mettre une touche finale à ce tableau impressionnant.
Le choix d’Alan Turing pour habiter notre imaginaire actuel n’est pas anodin. D’une part, il a eu le courage d’affirmer son homosexualité, malgré les graves conséquences que cela lui coûterait. D’autre part, il a mis au monde les appareils qui comblent nos vides quotidiens, à l’instar de ce que lui a apporté sa création mécanique et électrique.
La pièce La Machine de Turing est l’affiche du Rideau Vert jusqu’au 24 février prochain.