L’assemblée de cuisine un dimanche…
Par Sébastien Bouthillier
Un jeune homme rate son entrée dans le monde, retourne chez ses parents banlieusards et provoque par son silence. Sa passivité réussira-t-elle à changer le monde alors que son activisme a échoué? La famille se retrouve autour d’une poutine les dimanches au souper, mais une bombe incendiaire est au menu cette semaine… À l’occasion de la première de Dimanche napalm, MatTv.ca s’entretient avec Sébastien David, l’auteur et metteur en scène de la pièce.
Pourquoi un jeune homme s’emmure-t-il dans le silence ?
La pièce porte sur la raison de son silence, elle tente moins d’expliquer que de susciter nos émotions. Laissé par son ex, le jeune homme a vécu dans la dissidence, sa vie ne mène nulle part, mais a encore le courage de se taire. L’histoire se déroule à la fin du printemps érable, dans une famille de la classe moyenne.
C’est un silence qui provoque la parole ?
Le silence devient un catalyseur qui permet aux interlocuteurs du fils de plonger profondément en eux parce que son mutisme accroît leur impression de vide. Mais je laisse délibérément la réponse aux spectateurs, quitte à ce qu’ils se demandent si c’est un pétard mouillé parce qu’ils n’assistent pas à l’étape ultime. Chaque spectateur imagine le dénouement selon sa propre expérience de vie.
Le ton de ton écriture révèle la colère ou quoi ?
J’écris entre le drame et l’humour à partir de ma sensibilité, mes personnages expriment qui ils sont. Une pièce uniquement dramatique serait impossible pour moi parce que la vie est remplie de contrastes extraordinaires, c’est ce que je dévoile. Bien que le fond de Dimanche napalm soit dramatique, mes personnages sont humains, des ratés sympathiques tentant de s’extirper de leur situation, évoquant leurs aspirations, échouant beaucoup et réussissant un peu. L’humour agit comme un lubrifiant et je travaille cet aspect, qui approfondit ce que j’écris.
Pourtant, l’histoire survient après le printemps érable…
Oui, désillusionné après avoir milité, le fils revient chez ses parents de classe moyenne pour accomplir la révolution par le silence. Confrontés à son mutisme, son père comptable et sa mère hygiéniste dentaire soulignent l’importance de faire quelque chose d’utile dans la vie. Des thèmes comme le « gros bon sens », la médiocrité et l’emprise de la religion autrefois transpirent de la pièce.
Pourquoi tu dénonces l’utilitarisme ?
Parce que l’utilitarisme tend à minimiser l’adolescence et la vie de jeune adulte parce qu’il faudrait choisir une profession sans se laisser vivre, il faudrait tendre vers la normalité. La pièce soulève cette question par le fils engagé qui questionne et envisage des alternatives à l’ordre établi, au risque de se faire rétorquer qu’il est jeune et qu’il comprendra plus tard.
Néanmoins, la jeunesse doit-elle réaliser ses illusions ?
On n’a pas le choix de tendre vers ça. Lorsque son ex-blonde se présente, elle est fatiguée et bascule vers une sorte de renoncement où elle se tranquillise. Arrive un moment où on s’assagit parce que l’énergie que draine ce genre de contestation épuise, j’en ai été témoin chez des gens dans la vingtaine durant le printemps érable. J’ai d’ailleurs hâte de voir quelles réactions provoquera la pièce auprès du public dans la vingtaine.
Quelle forme prend Dimanche napalm ?
Un enchaînement de 47 tableaux où un personnage entre en opposition avec le fils. C’est la première fois que je crée un personnage silencieux. Le poids du silence alimente le flot de paroles dans le duel, il s’agit de dialogues à sens unique.
Il paraît que tu récites en écrivant…
Acteur à la base, mes textes sont des partitions, je les récite au fur et à mesure que je les écris. Pas n’importe quel acteur peut jouer, il lui faut un dos et un diaphragme pour adopter le ton juste. C’est la langue de la classe moyenne touffue de répétitions, de malaises, d’énumérations que je cherche à dépeindre en écrivant.
Ensuite, tu perds le contrôle de tes personnages ?
Je laisse mes personnages prendre le contrôle. En les laissant vivre, ils m’amènent dans des endroits où je n’aurais pas envisagé aller. Laisser mes personnages libres, c’est un credo récent pour moi. Parfois, on sent trop la présence de l’auteur dans l’univers qu’il a créé. Je préfère que le spectateur quitte l’auteur pour intégrer le personnage en entier sans arrière-pensée sur ce que l’auteur a voulu lui dire.
Qu’est-ce qui t’a motivé à écrire cette pièce ?
Mon intérêt pour la société québécoise après le printemps 2012. Le scénario s’est précisé quand j’ai vu sur internet la photo de la jeune fille au napalm et que je suis tombé, à l’onglet suivant, sur une image d’une manifestation dans les rues de Montréal. Ces photos ont provoqué un déclic, je me suis mis à réfléchir sur la société et la dissidence.
Est-ce autobiographique ?
Non! J’aime inventer, mentir et créer des scénarios sans souci pour la fausseté et la vérité, alors le personnage silencieux de la pièce est un autre que moi. J’ai imaginé un personnage dissident, militant et nous explorons son drame. Lorsque le printemps érable a éclaté, j’avais un rapport à la dissidence trouble : mal à l’aise d’être dans la rue, je n’étais pas habitué de manifester et d’élever la voix. Cette mobilisation demeure le plus grand mouvement collectif que j’ai vécu du haut de mes 33 ans.
À quelle société aspires-tu ?
Étant pessimiste, je n’aurai pas de réponse. La pièce soulève des questions, mais n’offre pas de réponse non plus. S’en dégage plutôt un sentiment général alimenté par des images, des symboles et des émotions. D’ailleurs, la fin demeure ouverte, à chacun de tirer sa propre conclusion. Faut qu’on se parle, le projet initié par Gabriel Nadeau-Dubois, débute en même temps que Dimanche napalm, où une famille ne se parle pas. La coïncidence témoigne de l’actualité de la pièce.
Et quand tu deviens optimiste un instant ?
Quand je ne suis pas pessimiste, c’est de ça dont j’ai envie : qu’on se parle. Nous en avons soupé de la mondialisation et nous voulons des projets à notre hauteur, 6 pieds maximum! (rires). Je suis de mon temps en évoquant l’assemblée de cuisine, un espace pour se parler directement sans la distance du gouvernement avec le peuple. Par exemple, je viens d’emménager dans une coop d’artistes dans le Vieux-Montréal et ça nous fait du bien de vivre, de réfléchir et de se parler à échelle humaine.
En terminant, qu’ont dit tes parents de ton choix de carrière ?
Après une audition infructueuse, ma mère m’a suggéré de penser à un plan B, un filet de sécurité. Sans être en désaccords, ils n’étaient pas chauds à l’idée parce que cela représentait l’insécurité et que mon choix leur semblait hasardeux. Alors tous les clichés liés au théâtre ont émergé quand j’ai annoncé ma volonté d’étudier cet art : être pauvre, vivre en saltimbanque… Heureusement, mes parents sont ouverts, nous ne nous sommes pas disputés et je vis très bien de mon métier aujourd’hui.
Dimanche Napalm, au théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 26 novembre.
Crédit photo : Jérémie Battaglia
Texte révisé par : Matthy Laroche