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L’art total de Pierre Lapointe

Les Callas, album vrai et intime

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 ©Marc-Olivier Lebrun/MatTv.ca

Par Maxime D.-Pomerleau

Le 3 décembre dernier le prolifique (ou hyperactif, c’est selon) Pierre Lapointe lançait un tout nouvel album, Les Callas, constitué de pièces écartées du dernier album ainsi que d’archives personnelles. À peine 10 mois après la sortie de l’éclatant Punkt, l’auteur-compositeur-interprète surprend son public avec un EP offert en édition limitée à 3000 exemplaires CD et seulement 300 copies vinyles. Pour des raisons techniques, le mini-disque se retrouve accroché à Punkt, un format somme toute intéressant quand on pense à la dichotomie entre les 2 albums; leurs sonorités et leurs processus de création.

Une rencontre avec Pierre Lapointe, verbomoteur aux idées inépuisables, c’est une leçon de pop culture et d’histoire de l’art en même temps. Il est si intéressant qu’on a envie de livrer le verbatim complet de l’entrevue, mais comme que je ne suis pas masochiste au point de la transcrire intégralement, je me suis concentrée sur l’essentiel de notre entretien.

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Pierre Lapointe, concepteur sonore

 

Le maxi de 22 minutes contient 11 chansons dont la magnifique pièce titre Les Callas, enregistrée au Parc Lafontaine avec ses amis Ariane Moffatt et Philippe B à la guitare. On y retrouve également de belles collaborations avec Joe Bocan (Les désordres du cœur) et Monia Chokri, pour laquelle il avait au départ écrit S’il te plaît. L’album s’ouvre sur la pièce instrumentale Erwan qui donne le ton pour le reste de l’album où mélancolie et tourments prédominent. Quelques gouttes de sang est sans doute la chanson qui se démarque le plus, avec son texte cru et son tempo décalé.

En ayant une facture beaucoup plus simple, moins pompeuse que Punkt peut l’être, Les Callas se révèle un prétexte pour jouer avec l’enregistrement. « Durant la production de Punkt on avait en tête d’enregistrer dans différents lieux inusités, où l’ambiance crée un discours en plus du discours qui est chanté. On l’avait fait pour Les Callas mais ça ne marchait pas dans Punkt alors on l’a écarté. C’est devenu l’élément de départ pour créer un disque intéressant avec des factures inattendues, toujours par rapport à la prise de son. »

Si les techniques d’enregistrement diffèrent d’une chanson à l’autre, il en résulte un tout cohérent; un assemblage de courtes histoires, de natures mortes et de tableaux épurés, tel un recueil de poésie. Le combo piano-voix présent sur la majorité des pièces entretient le romantisme auquel nous a habitué Pierre Lapointe et crée des espaces intimistes desquels l’auditeur ne peut s’échapper. L’exercice de style est réussi et nous avons hâte de voir les nouvelles pièces en spectacle, aux côtés de la démesure de Punkt.

Depuis le début de sa carrière, Lapointe invite d’autres artistes à contribuer à ses chansons, donnant lieu à de riches collaborations. « C’est les amitiés qui motivent tout. Travailler avec des gens parce qu’ils sont connus ça ne m’intéresse pas. Il faut que ça clique, qu’il y ait d’abord une relation avec l’autre. J’ai la chance d’avoir des amis dont j’admire profondément le travail et qui m’influencent en tant qu’artiste alors je serais un peu con de ne pas en profiter! La production d’un album, le plaisir de monter un projet, de discuter avec l’équipe, travailler avec le graphiste, c’est très stimulant. Joe Becker est quelqu’un que j’admire beaucoup et je lui ai commandé l’œuvre pour l’illustration de la pochette. » L’inclassable peintre montréalais est l’un des artistes d’art actuel les plus en vues présentement.

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Pierre Lapointe, directeur artistique

 

Cette manie de créer des objets tout-à-fait nouveaux lui vient aussi de sa proximité et sa passion pour les arts visuels, s’inspirant d’artistes qui ont un discours qui colle au sien. « Je ne fais pas la distinction entre les influences musicales et visuelles. Pour moi un créateur crée, qu’importe le médium qu’il implique dans sa création. Il parle le même langage que tous les créateurs. Quand on se pose des questions et qu’on se positionne par rapport à nos contemporains sur leur travail artistique, tout s’entrecoupe et tout est influencé par tout. »

Lorsque vient le temps de créer des vidéos, il applique littéralement du visuel sur ses pièces musicales. Que ce soit une installation immersive de Dominique Pétrin au MACM (Nos joies répétitives), les mascottes de Benjamin Larose (Plus vite que ton corps) ou les vêtements du designer Rad Hourani (La sexualité), Pierre Lapointe sait intégrer des éléments extérieurs pour produire une œuvre d’art totale, qui surfe sur légèreté et étrangeté. « Créer un contraste entre quelque chose d’extrêmement violemment pop et quelque chose d’extrêmement violemment introspectif et en faire un mariage heureux, ce sont des démarches souvent plus proches du milieu des arts visuels que de l’auteur-compositeur-interprète typique ».

Rad Hourani, ami avec qui Pierre a une grande parenté d’esprit dans la manière de voir leur art, l’a d’ailleurs invité à se produire le 14 novembre dernier dans le cadre de son mois d’exposition au Centre Phi, seul au piano, soutenu par des projections de danseurs d’Édouard Lock portant ses créations. Ces spectacles uniques qui ponctuent l’année de Pierre Lapointe entre ses tournées promotionnelles lui permettent de se payer des stages d’observation avec des maîtres et d’approfondir sa démarche. « Je ne peux pas dire exactement ce que ça m’apporte à part une grande ouverture d’esprit, qui grandit de fois en fois. Quand tu côtoies des artistes aussi libres, tu finis, sans t’en rendre compte, par t’accorder cette liberté-là toi aussi. »

Pour Punkt, Lapointe a exploré la culture pop et ses symboles, dont le plus puissant reste selon lui la mort, alors que l’on serait porté de croire que c’est l’amour. « La mort motive tout. Tout le monde a peur de mourir, même si on ne l’assume pas. Le plus vieux sujet de la littérature c’est la mort, le premier sujet dans la dramaturgie c’est la mort, dans le théâtre grec antique c’est la mort, l’infanticide peut être un sujet pop! Cette réflexion-là de dire je vais prendre un élément classique et mettre des éléments contemporains là-dedans, c’est très post-moderne comme façon de travailler et c’est né de ce que j’ai pu observer chez mes amis artistes. »

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Pierre Lapointe, artiste libre

 

L’artiste, qui lancerait un album tous les six mois s’il s’écoutait, s’envolera vers la France au début de la nouvelle année pour y présenter Punkt, disponible sur le marché européen depuis le 25 novembre dernier. Fier de représenter le bouillonnement de la scène montréalaise, Pierre Lapointe assure que la chanson québécoise francophone se porte très bien. « L’industrie est en transformation d’un point de vue commercial. D’un point de vue artistique, je pense que Montréal n’a absolument rien à envier à aucune autre ville. Quand on parle de Montréal, il y a quelque chose de magique qui en émane, les journalistes sont surpris de cette liberté de création qu’on s’accorde. Montréal va rester une des capitales culturelles en Amérique du Nord importantes et je suis fier de participer à cette singularité. »

On voit que les années de métier teintent son discours lorsqu’on parle de l’industrie musicale québécoise. « Quand on commence en musique on est un peu idéaliste et on s’imagine que tout le monde est gentil, que les industries sont assoiffées de diffuser de la culture et passionnées de chansons : c’est pas vrai! »

Comme la majorité des artistes indépendants, Pierre Lapointe ne croit pas que le salut de la scène musicale québécoise ne passe par les radios grand public : « Maintenant la musique sert à vendre de la pub, ce n’est plus la pub qui sert à vendre de la musique. Les radios commerciales ont abandonné le mandat de faire découvrir au public de nouveaux artistes. La belle revanche que nous avons c’est Internet qui nous permet d’être au courant de tout, sans avoir à ouvrir la radio et la télé, ce qui n’était pas le cas il y a 10 ans. Maintenant on peut plus se permettre d’envoyer chier les médias moins alternatifs. »

Artiste rebelle, Pierre Lapointe ne laisse personne indifférent. Profitons de ce nouveau bijou musical pour saluer l’audace et le talent de cet oiseau coloré au chant unique.

Crédit Photo: ©Marc-Olivier Lebrun/MatTv.ca