Le corps prisonnier
©Jean-François Bouchard
Par Simon Morin
Sous la lumière du photographe Jean-François Bouchard, présente « Transpose » à l’Arsenal à Montréal.
L’Arsenal nous présente une exposition une fois de plus qui fait réfléchir sur la société d’aujourd’hui. Situé dans le quartier en pleine ébullition, Griffintown, l’Arsenal a su tirer son épingle du jeu, car au cours des deux dernières années, sa popularité ne cesse d’augmenter et elle est devenu le lieu contemporain, le plus médiatisé à Montréal, pour le champ des arts visuels.
Pour ce mois-ci, l’Arsenal nous présente le travail récent de Jean-François Bouchard, photographe. Travaillant à la tête de la compagnie publicitaire Sid Lee, on oublie que Jean-François Bouchard est un photographe contemporain assez important ces dernières années avec des séries de sujets des plus venimeux les uns des autres. En effet, nous n’avons qu’à penser à sa série de 2010, l’artiste avait présenté Still Life, où il discutait par le biais de l’image la dépendance de certaines faces des poupées de latex à des fins sexuelles. Récipiendaire de plus de quatre prix Lux, Jean-François Bouchard aura démontré une démarche cohérente avec son style minimaliste dans l’art de la photographie, laissant la vérité de l’imagerie jaillir.
Transpose illustre un tout autre registre de discussion. En effet, le photographe a fait une série de portrait illustrant des femmes ayant fait la transformation de leur corps en celui d’un homme. Le transgenre. Il présente des portraits d’hommes, torses nus où l’on peut voir la transformation complète soit par les larges et obliques cicatrices laissées par l’ablation mammaire. Probablement le symbole le plus saillant, et l’aspect qui caractérise cette transformation du changement de sexe.
Dans un registre de neutralité sans artifice, le photographe rend lumière au transgenre FTM (female-to-male), un groupe marginalisé dans la société actuelle. En effet, les clichés sont réalisés dans une neutralité, sans décor, dans un éclairage dissous. Il pose la réalité de la vérité sur ce groupe. Un invisible pourtant bien réel. Pour l’artiste photographe, le fait de poser ces hommes était une vitrine propice à la réflexion chez le visiteur qui dès lors, est confronté à l’imagerie de cette série.
Dans une atmosphère fidèle à l’Arsenal, c’est-à-dire épurée à son maximum, avec le «look» industriel propre, les cadres sont posés dans l’air de l’exposition de manière à ce que les œuvres soient autonomes d’elles-mêmes les unes par rapport aux autres. Proportionnelle à la taille des visiteurs les clichées grandeurs natures sont ainsi dans une dualité avec la représentation de l’espace. Le visiteur est confronté au voyeurisme, qui dès lors, crée l’illusion d’une fenêtre. Nous sommes confrontés à regarder les corps de ces hommes en ayant la réflexion de la transformation. Nous ne pouvons faire abstraction comment le corps était avant la transformation, mais ceci est une curiosité que nous devons laisser de côté et plutôt percevoir la profonde réflexion que l’artiste photographe insuffle à ces portraits, soit la réalité actuelle et complexe du corps prisonnier de leur propre corps.
Nul doute, lorsque vous visitez cette exposition, personne ne peut rester indifférent face à ce sujet. Dans cette ère, où la tolérance est abondamment discutée, cette série photographique vient faire une médiation considérable à ce sujet.
Présenté à la Salle Schulnik de l’Arsenal, Tranpose est probablement l’exposition la plus humaine du début printemps 2014. Après l’hiver aride que nous avons connu, cette exposition vient à point dans la société actuelle où parfois certains groupes marginalisés coexistent à parts égales dans cette société.
Crédit photo: ©Jean-François Bouchard