Désirs et vies suspendus
Par : Marie-Claude Lessard
Les Inconnus, une création de la compagnie Le Crachoir présentée à la petite salle de La Licorne jusqu’au 30 septembre, incarne tout ce qui fait du théâtre un médium magique et incomparable : un texte si riche qu’il faut le lire plusieurs fois pour en savourer toutes les complexités, des performances ahurissantes d’un duo d’acteurs qui s’abandonne corps et âme, et une scénographie intelligente qui sert l’oeuvre au lieu de la surcharger de procédés aguicheurs.
De prime abord, l’histoire paraît bien simple, voire banale : un homme (Alexis, incroyablement juste Alexandre Fortin) et une femme (Macha, bouleversante Marie Bernier) se rencontrent dans un bar branché un vendredi soir. Puisque les deux s’alimentent de l’excitation créée par l’attente d’une aventure sans lendemain, ils se séduisent, se contredisent, se frustrent, se manipulent et s’entrechoquent. Pris au piège par la douceur de la nuit, ils dévoileront des secrets qui ne feront plus d’eux de parfaits étrangers.
L’écriture brutalement vraie de Julie-Anne Ranger-Beauregard enchaîne les imageries fortes qui renvoient les spectateurs dans leurs propres mystères et faux-semblants, et non uniquement parce que la plupart des gens présents dans l’intime salle ont déjà, un soir ou l’autre, profité sexuellement d’un inconnu sans conséquence désastreuse. Les répliques échangées par les protagonistes s’avèrent si authentiques qu’on ne peut détacher le regard de leurs lèvres. Les Inconnus traite du sentiment ambigu de ne pas connaître les gens proches de nous alors qu’il est plus aisé de connecter avec un pur inconnu. Dans le fond, est-ce que nous nous connaissons vraiment nous-même ou nous préférons jouer divers rôles pour masquer notre besoin d’affection, notre besoin d’être indispensable à l’autre? Toutes ces réflexions se développent dans l’esprit du public alors qu’il déguste une intrigue narrative bien définie.
Pour transposer sur scène cette captivante histoire de 60 minutes, le metteur en scène Frédéric Blanchette propose une scénographie à la fois simple et ingénieuse dont il ne faut pas trop dévoiler les éléments pour conserver le suspense. L’idée de diviser la scène, et par le fait même les personnages, par une vitre signifie plusieurs métaphores : le poids des secrets entre les êtres, la sensation de ne jamais fusionner totalement avec quelqu’un autant sur le plan émotionnel que physique… Il y a autant d’interprétations que de spectateurs, et c’est ce qui fait la force de ce magnifique spectacle profondément humain et mémorable.
Texte révisé par : Annie Simard