Robbie Ivon, un univers intrigant…
© Robbie Ivon – Facebook
Robbie Ivon est un auteur-compositeur-interprète assez mystérieux. Il a fait paraître son EP Fausses Parodies en 2016 qui peut rappeler l’univers de Richard Séguin en ce sens où on accorde beaucoup plus d’importance aux paroles qu’aux acrobaties vocales possibles. Le 9 octobre 2020, il a fait paraître son premier album en carrière, Le périple du chien fou, dans un style folk un peu plus rock que ce qu’on lui connaissait dans son EP. Ses chansons sont assez introspectives, sombres et souvent mélancoliques.
Je laisse maintenant la parole à l’artiste afin que vous appreniez à le connaître davantage. Voici le fruit de notre entrevue, où il a été question notamment de notre perception de nous-mêmes, de Lydia Képinski et de technologie.
© Robbie Ivon – Facebook
Myriam : Qu’est-ce qui t’a amené à faire de la musique?
Robbie : Je suis quelqu’un de très lunatique, je suis peut-être quelqu’un qui n’avait pas un grand entourage. Quelqu’un un jour a apporté un instrument chez mes parents et ça a cliqué. À vrai dire, ce n’est pas quelqu’un qui a apporté un instrument, c’est que j’ai trouvé une guitare dans le grenier chez mes parents. J’ai commencé à gratter, à m’intéresser et à prendre des cours de base et ainsi de suite. Ça a commencé de cette façon-là. J’ai toujours aimé la musique pour l’aspect créatif, je n’ai jamais été quelqu’un qui aimait faire des reprises de chansons. On dirait que quand j’ai commencé à jouer de l’instrument, au lieu de faire « j’ai le goût de jouer cette chanson-là », dans ma tête c’était plus « j’ai le goût de faire une chanson comme celle-là ». Au lieu de faire des reprises, au lieu de pratiquer les chansons des autres, j’ai appris à faire des chansons qui sont propres à moi mais influencées par d’autres personnes.
Myriam : Tu t’inspirais des chansons des autres, mais qu’est-ce qui t’inspire le plus pour créer une chanson?
Robbie : J’écoute vraiment beaucoup de musique, j’ai fait longtemps beaucoup d’écoute critique. J’ai passé des discographies d’artistes. On dirait que mon secondaire au complet c’était écouter de la musique. J’ai un de mes amis, qui est le guitariste dans mon groupe, nos conversations tournent autour d’albums qu’on a écouté dernièrement, qu’on a apprécié. Je peux penser à des artistes comme Leonard Cohen, Bob Dylan, Sibylle Baier, plein d’artistes qui m’inspirent. Il y en a aujourd’hui qui m’inspire encore, comme Lydia Képinski, dernièrement j’ai écouté la performance de Laurence-Anne aux Francofolies et j’ai beaucoup apprécié. IL y a plein plein plein d’artistes, le mouvement post-punk au niveau américain ou au niveau de l’Angleterre des années 1980, ça aussi j’apprécie beaucoup. Ça revient toujours à des auteurs-interprètes, comme Antoine Corriveau, ainsi de suite, ce sont des artistes qui m’inspirent beaucoup.
Myriam : Côté thèmes, est-ce qu’il y a des thèmes qui t’inspirent le plus pour écrire des chansons?
Robbie : Oui, on dirait que j’exploite toujours des textes qui sont sur la vulnérabilité, peut-être des sujets actuellement qui sont un peu lourds, en temps de pandémie c’est peut-être pas idéal, je peux comprendre pourquoi il y a un relâchement à ce niveau-là, que les gens cherchent quelque chose d’un peu plus doux, d’un peu plus joyeux. Ce n’est pas le cas avec ma musique. Je me considère un peu comme … au niveau des bandes-dessinées, il y a un terme qu’on utilise pour décrire un type de bande-dessinée et c’est le anti-escapist. C’est présenté comme une réalité qui est plus crue, une réalité sans issue. Au cégep, j’ai étudié en arts et mes cours d’anglais avaient toujours une thématique différente, on a eu à faire des analyses sur des bandes-dessinées plutôt que de la littérature américaine ou de grands classiques. Ce sont des thèmes qu’on s’est fait expliquer. Le thème anti-escapist est un thème que j’ai beaucoup apprécié, je dirais que ça reflète un peu ma musique.
Myriam : Si tu avais à décrire Robbie Ivon en quelques mots, lesquels utiliserais-tu?
Robbie : Robbie Ivon est […] la personne que je ressens. Tout le monde se voit d’une certaine manière, cependant quand on se voit marcher par exemple dans la rue et qu’on voit notre réflexion dans une fenêtre d’un magasin, on a tendance à ne pas se reconnaître. C’est la façon dont les gens te voient, mais ce n’est pas comment toi tu te sens. Robbie Ivon c’est comment moi je me sens.
Myriam : Tu es connu pour tes mélodies sombres, qu’est-ce qui explique selon toi ce choix de sonorité?
Robbie : Je ne sais pas. Il y a quelque chose dans la musique généralement, et je pense que plusieurs personnes peuvent appuyer ma thèse, je pense que les gens ont tendance à être plus touchés par des éléments plus vulnérables, des musiques sombres, quelque chose qui va vraiment chercher le côté émotif. Dans ma tête on dirait que les choses joyeuses sont quelque chose de vraiment éphémère, qu’on oublie facilement, alors que les choses plus lourdes sont quelque chose qui reste imprimé. Les bons temps sont tout le temps courts et on les oublie facilement. On dirait que c’est plus facile reconnaître les éléments qui sont plus sombres. Souvent, je vis des moments joyeux et je me dis « câline, je ne me rappelais plus du tout du sentiment que cette chose-là me procure. » Cependant, quand tu es triste ou qu’une injustice ou quelque chose est fâchant, on dirait que c’est comme un sentiment qu’on a, même si c’est quelque chose qui arrive encore, on dirait qu’on apprivoise mieux ce sentiment-là. Pour certains en tout cas, pour moi.
Myriam : Peux-tu me parler un peu des inspirations derrière ton plus récent album, Le périple du chien fou?
Robbie : Le processus de l’album a commencé en 2016. Disons que quand j’ai terminé l’album j’ai essayé de penser à mes influences mais j’ai passé à travers de tellement de styles musicaux de 2016 à 2020, j’ai oublié un peu mes inspirations. Il y a un groupe américain qui s’appelle Grizzly Bear que j’ai beaucoup écouté […]. Pendant l’écriture de l’album, la mode était très aux années 1990, j’ai écouté beaucoup de musique des années 1990, du Slowdive, du shoegaze, j’ai écouté beaucoup de Mazzy Star, groupe de la Californie si je ne me trompe pas, beaucoup de Grizzly Bear, l’album Yellow House. J’ai écouté beaucoup de choses, du Jacques Brel, beaucoup l’album 1er juin de Lydia Képinski, je l’ai écouté beaucoup de fois, c’est vraiment un album que j’apprécie. Personnellement, j’aime beaucoup Jimmy Hunt, Maladie d’amour c’est un disque super, mais qu’est-ce que j’aime de Lydia Képinski on dirait que la mode est à la musique plus monotone, il y a beaucoup d’albums qui sortent présentement qu’on dirait que tu écoutes la première chanson et tu sais exactement à quoi t’attendre des autres chansons, la production va être similaire pour le reste de l’album. Je trouve que 1er Juin est super éclectique, la musique est tellement intéressante, les textes sont vraiment de l’avant. Personnellement, dans ma tête je pense à ça et j’écoute un peu Ne me quitte pas de Jacques Brel, l’album au complet, et j’ai l’impression que Lydia Képinski est une Jacques Brel d’aujourd’hui : la musique est intéressante, les textes sont bons et de l’avant, les progressions… on dirait qu’il n’y a pas de compromis.
Myriam : J’ai lu sur le communiqué de presse que « Le Périple du chien fou est un assemblage de faits, d’observations et d’anecdotes qui documentent le déclin d’une personne proche. » Est-ce que tu veux en parler plus précisément?
Robbie : La personne que j’ai documentée… il y a des réflexions aussi. On voit un peu de nous dans les autres. Il y a certaines chansons que ça concerne cette personne-là mais le sujet je me l’approprie un peu. J’ai essayé de trouver une ligne directrice pour l’album mais j’ai tout délaissé cette idée-là d’essayer de créer un lien à travers les chansons. C’est plus comme un assemblage pas bipolaire mais plus un désordre. Au début, je pensais à l’album un peu comme … j’aimais l’idée du hasard, un peu comme l’auteur américain Paul Auster a tendance à ajouter dans ses livres pour assembler le tout. J’ai vite réalisé que c’est plus une question de perspective, parce que j’ai plus une fin un peu plus joyeuse au niveau de l’album, mon idée est que rien ne défile aussi bien qu’un récit, que la vie est remplie de contradiction, mais je réalise aussi que c’est une question de perspective. Ce n’est pas parce que tu vois une personne tomber que la personne tombe nécessairement. Elle tombe peut-être selon tes peurs, selon ta définition de la noirceur, mais ce n’est peut-être pas sa définition de la noirceur à cette personne-là.
Myriam : Pourquoi y a-t-il eu une pause de quatre ans entre ton EP Fausses parodies et ton album Le périple du chien fou?
Robbie : En autre parce que je me casse la tête quand je fais de la musique (rires). J’ai vraiment un processus qui prend beaucoup de mon énergie. Du moment que je commence à faire l’album, je pense juste à ça, je me remets beaucoup en question, je questionne tout ce que je fais. Au final, je suis content du résultat, il y a certaines facettes que j’aime moins, mais je pense que c’est ça être artiste. C’est sur le prochain album que je vais régler ces problématiques-là. Pourquoi quatre ans? La pandémie m’a fait réaliser que je me fie beaucoup aux autres pour compléter mes projets. Je n’ai pas un grand entourage, mais j’ai des gens qui m’aident et qui m’ont aidé au niveau de la production. Cependant, ils m’ont aidé à faire la production, à faire l’enregistrement de l’album, cependant c’était dans leurs temps libres, ça crée des délais supplémentaires au niveau de l’album qui a fait en sorte que ça a pris quatre ans. De plus, j’étais aux études donc j’avais la tête ailleurs aussi.
Myriam : Si tu pouvais prendre ma place de journaliste pour une question, quelle question te poserais-tu, en y répondant?
Robbie : Qu’est-ce qui me tracasse le plus dans l’industrie d’aujourd’hui?
Je dirais aujourd’hui, on vit dans un ère de communication, de technologies, ainsi de suite. De mon côté, ça fait environ quatre ans que j’ai un téléphone cellulaire, au niveau des technologies, ce n’est pas quelque chose que je maîtrise, ce n’est pas quelque chose que j’apprécie vraiment faire. Maintenant, tu ne peux plus être un musicien, tu dois avoir une certaine base on dirait en marketing, tu dois maîtriser les réseaux sociaux, faire des publications régulièrement et ainsi de suite. Ce n’est pas quelque chose que je suis très habile avec. Je ne suis pas le genre de personne qui aime crier « hey, regarde! » ce n’est pas mon truc de faire ça. C’est le genre de truc que je déteste, j’essaie de m’améliorer et d’avoir une meilleure relation avec ça. Surtout en temps de pandémie, j’essaie d’organiser des choses pour que les choses fonctionnent, cependant, pour que je sois en mesure de réaliser ces choses-là, faire des vidéoclips, présentement c’est beaucoup plus difficile en temps de pandémie, je suis un artiste indépendant, je ne suis pas signé, je n’ai pas d’équipe qui travaille derrière moi, je n’ai personne pour me conseiller. C’est très difficile pour moi de trouver mes repères et en temps de pandémie, le fait de ne pas avoir d’équipe, c’est difficile de faire de la promotion pour l’album présentement.
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Ton lecteur de musique plante sur une île déserte, tu peux seulement écouter une chanson, c’est laquelle?
Talk Talk – Happiness Is Easy
Il y a tellement d’éléments à cette chanson que tu découvres une nouvelle facette à chaque écoute. La production, les arrangements, les paroles et la voix quasi hantée Mark Hollis font de cette chanson un chef d’œuvre. Je l’écoute régulièrement et je ne me suis pas fatigué encore de l’entendre.
Ta chanson de rupture préférée?
Feist – Let it die
Dans Let It Die, Feist présente une version plus mature d’une rupture. Même si l’on peut ressentir sa déception, elle n’est pas dans le déni, elle comprend que c’est pour le mieux. Il y a ce côté averti qui vient vraiment me chercher. Aussi, Feist a l’une des plus belles voix selon moi.
Ta chanson d’amour préférée ?
Sibylle Baier – Forget about
Pour moi, cette chanson est une brise de chaleur dans une journée froide. Cette chanson nous parle du confort d’être en amour. Le confort, je le ressens dans la texture du son feutré, la voix intime de Sibylle et le vibrato de sa guitare. Tous les éléments sont en phase.
Un.e artiste que tu aimerais que les gens connaissent davantage ?
Laurence-Anne
Dernièrement, j’ai regardé la performance de Laurence-Anne aux Francofolies et j’ai adoré. C’est un coup de cœur pour moi.
Si tu pouvais écouter un seul album pour l’année à venir, ce serait lequel?
Leonard Cohen – New Skin for the Old Ceremony
Je reviens souvent à ce disque de Cohen. Comparativement à ses albums précédents, il y a plus de variété au niveau des arrangements et Cohen est plus dynamique dans l’interprétation de ses chansons. Les paroles sont moins évasives et plus satiriques. Ce qui rend la lourdeur de certains textes plus facile à digérer. C’est un album qui s’écoute très bien de la première chanson jusqu’à la dernière.
La chanson qui te rend le plus heureux ?
Robert Charlebois – The Frog Song
Pour cette chanson, je ne ressens pas le besoin de me justifier.
Un.e artiste / groupe qui t’inspire beaucoup ?
Tropical Fuck Storm
Ce groupe de l’Australie fait un art-punk aux sonorités très recherché. La production et les lignes de guitares sont vraiment ce qui m’inspire le plus de ce groupe. Je les perçois un peu comme une version moins chaotique du groupe The Birthday Party (Nick Cave).
La chanson qui t’obsède en ce moment?
Barrdo – [les] méandres de la soif
Cette chanson est un clin d’œil au prog-rock des années 70 avec une fin chaotique à la Soft Machine. Le tout enrobé d’une production moderne. Ce n’est pas un son très exploité de ces jours-ci.
Une chanson que tu aimerais avoir écrite?
Linda Perhacs – Hey, Who really Cares?
La chanson est très épurée et les arrangements sont très subtils. On attend toute la vulnérabilité de Perhacs et c’est très saisissant. Aussi, les paroles sont en phase avec ce que beaucoup de personnes vivent présentement avec la pandémie; le poids du changement, le désir de s’exiler et de se faire entendre. Pourquoi cette chanson? Parce qu’elle est bonne à la base. Elle n’a pas besoin d’être camouflée d’effet pour être intéressante. La mélodie de voix, le texte et la ligne de guitare font le travail.
Ta chanson (à toi) préférée?
Fausses parodies
J’ai une meilleure relation avec les chansons dont je me suis moins compliqué la vie avec. Fausses parodies, je l’ai composé rapidement. Je n’ai pas passé des mois à questionner la structure, la musique et les paroles. Le tout fait en sorte que je n’ai pas brouiller les intentions derrière cette chanson.