Comprendre l’horreur?
Le 16 novembre dernier, lors de la première de Projet Polytechnique au TNM, pièce documentaire de Marie‑Joanne Boucher et Jean‑Marc Dalphond, nous avons été amené sur un chemin douloureux; celui d’une démarche pour comprendre ce qui s’est passé le 6 décembre 1989 à l’École Polytechnique de Montréal et les répercussions de ces événements. Près de 34 ans se sont écoulés depuis, mais le sujet reste toujours d’actualité et les émotions toujours à fleur de peau.
L’exercice tire son origine d’une souffrance familiale, puisqu’une des 14 victimes qui sont tombées sous les balles du tireur lors de la tragique soirée était la cousine de M. Dalphond. Rappelons que toutes les victimes du tueur étaient des femmes. Bien que ça apparaissait assez évident, la pièce nous apprend que le meurtrier avait laisser une lettre confirmant qu’il visait spécifiquement les femmes, qu’il qualifiait de féministes. La police a longtemps gardé secrète cette information afin d’éviter l’émulation du geste.
Or, sachez que des émules, il y en a. La pièce nous décrit leur regroupement qui s’active au sein de différents forums sur le Web, laissant la possibilité à des individus fielleux de vomir leur haine des femmes. Certains passages de Projet Polytechnique sont difficiles à croire et à supporter.
À vrai dire, le plus difficile est de constater que la haine arrive à se transformer en conviction. C’est via la conviction que les pires gestes peuvent être posés. On le voit dans l’actualité; c’est la conviction qui invite au comportement de la Russie envers l’Ukraine; d’Israël à l’égard des Palestiniens, ou encore du parti communiste chinois vis-à-vis la culture Ouïghoure; et que dire de la violence dont les autorités iraniennes font preuve à l’égard des femmes qui demandent un peu de liberté.
Ainsi, la conviction rend les pires protagonistes crédibles aux yeux des esprits faibles. C’est d’ailleurs un aspect que la pièce mise en scène par Marie‑Josée Bastien aborde : l’insémination d’idées criminelles dans les esprits torturés. Des agitateurs inconscients, ou même sociopathes, se glorifient dans l’expression talentueuse de la malveillance. Ils utilisent le 6 décembre 1989 comme sujet de prose ou d’emportements poétiques; et arrivent à rendre désirables des gestes abjects.
Mme Boucher et M. Dalphond font d’ailleurs des rapprochements entre ces messages abominables et plusieurs tueries qui ont eu lieu aux États-Unis, au Canada ou en Nouvelle-Zélande. On peut aussi se rappeler le film Mon oncle d’Amérique réalisé par Alain Resnais en 1980, basé sur les travaux du neurobiologiste Henri Laborit, qui montre que plus on met de rats dans une cage, plus ils sont violents entre eux. Pour l’espèce humaine, ça commence probablement par ce type de messages.
Le spectacle propose aussi des pistes de solution en prônant un début de dialogue entre la société civile et les partisans d’une totale incivilité. Cet aspect n’est pas très convaincant. Peut-on vraiment pardonner n’importe quel geste sous prétexte que celui qui le pose a déjà souffert? Que fait-on du libre-arbitre et de la responsabilité de ses actes?
On le constate, le spectacle cherche à être aussi exhaustif que possible. Toutefois, ce désir documentaire associé à une mise en scène relativement lourde, rend la pièce passablement longue. Dans la perspective où le propos est écrasant, il faut faire preuve d’une bonne dose de courage pour se rendre jusqu’au bout.
La pièce est à l’affiche jusqu’au 13 décembre prochain et on peut se procurer les billets au TNM. La distribution est aussi composée de Stéphan Allard, Mustapha Aramis, Lamia Benhacime, Estelle Esse, Julie McInnes, Jules Ronfard et Cynthia Wu-Maheux.
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