Vie Inc.
Avec Unité modèle, à l’affiche au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 7 mai, Guillaume Corbeil clôt brillamment une trilogie théâtrale axée sur le culte de l’image et une quête biaisée d’avance sur l’authenticité. Les publicités empoisonnent nos existences et dictent des modes de vie utopiques par le biais de manipulations si ingénieusement bien calculées qu’on ne se rend presque plus compte de leur influence machiavélique. Pour illustrer ce propos, Corbeil s’attaque cette fois-ci à la culture du condo urbain. Tables rondes, mousseux et musique lounge possèdent la salle dans laquelle les spectateurs deviennent des clients potentiels pour habiter dans un des sublimes appartements du Complexe Diorama. Martin (Patrice Robitaille), un représentant immobilier expérimenté, joint ses forces à la novice Sarah (Anne-Élisabeth Bossé) pour offrir une soirée corporative qui, sous son vernis impeccable, dévoilera graduellement ses failles.
La critique sociale que suggère le dramaturge marque et imprègne longtemps l’imaginaire grâce à une écriture raffinée, délicieusement incisive et dénuée de morales suffisantes. Le texte sème constamment de fausses pistes, plongeant l’audience dans un jouissif suspense. Qu’est-ce qui est vrai? Quelles sont les limites de la présentation? Qu’est-ce qui se trame exactement entre Martin et Sarah? Le tandem vend du rêve, des fantasmes inatteignables et futiles, et incarne un couple parfait jusqu’à ne plus savoir lui-même où s’arrête cette fiction. Seule Sarah connaît des moments de lucidité (et d’hésitation dans la livraison de son pitch de vente appris par cœur) en demandant constamment à Martin si ce qu’il vient d’avancer est »pour vrai ». Tout en les exécutant, les protagonistes narrent les gestes à la deuxième personne du pluriel pour inclure les spectateurs/clients et les inciter à consommer ce bonheur préfabriqué. En se posant des questions qui obtiendront des réponses lors d’une finale poignante, le public s’esclaffe devant les généralités aucunement subtiles crachées par les agents d’immeubles (Une perle industrielle dans écrin de prestige /Un design riche et épuré ). Ensuite, il se fait inconsciemment et volontairement prendre au jeu en aimant certaines fonctionnalités invitantes de la demeure (l’éternel mais efficace cliché de l’immense walk-in rempli d’escarpins griffés) pour finalement rire jaune et ressentir de profonds malaises lorsqu’il y a exposition de techniques ignobles tirant profit de détresses humaines.
La mise en scène dynamique de Sylvain Bélanger captive le public tout au long. Les déplacements des personnages correspondent parfaitement à leurs caractéristiques. Le décor magnifiquement stylisé donne d’abord des frissons d’extase pour ensuite procurer des sueurs froides. La distribution accomplit des merveilles. Anne-Élisabeth Bossé interprète avec justesse les multiples facettes de son personnage. L’évolution de Sarah tire les larmes, mais jamais dans un esprit mélodramatique. De son côté, Patrice Robitaille joue de manière stupéfiante le triste déni de Martin.
Unité modèle est à l’affiche dans la salle principale du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 7 mai.
Texte révisé par : Matthy Laroche