L’arroseur arrosé
Par : Marie-Claude Lessard
Molière a attendu cinq ans avant que sa pièce Tartuffe, victime de la censure, puisse être présentée devant public. En 2016, les thèmes contenus dans l’œuvre (l’aveuglement face à la religion, l’adultère, le conformisme, l’hypocrisie…) sont traités en abondance et, malheureusement, toujours d’actualité. Jusqu’au 22 octobre, le Théâtre du Nouveau Monde présente une version hilarante et dérangeante de ce classique.
Le metteur en scène Denis Marleau, avec l’aide de Stéphanie Jasmin à la conception vidéo, transpose Tartuffe en 1969 en pleine Révolution pas si Tranquille que ça. Lors d’une journée hivernale plutôt douce, dans une maison léchée où règnent des verres en cristal, des adolescents gratouillent la guitare et se pelotent sans vergogne sous les yeux désintéressés de Dorine, une gouvernante et confidente colorée (dynamique Violaine Chauveau), et d’Elmire (Anne-Marie Cadieux), une mère qui bâcle les tâches ménagères avant l’arrivée de sa belle-mère conservatrice (Monique Miller). Depuis environ deux ans, un dévot du nom de Tartuffe (Emmanuel Schwartz) habite la résidence. Le père, Orgon (Benoît Brière), boit les paroles de cet imposteur qui convoite Elmire. Ayant tous vu dans le jeu de Tartuffe, les autres membres de la famille souhaitent son départ. Or, Orgon désire que sa fille Mariane (Rachel Graton) l’épouse. Tartuffe arrivera-t-il à ses fins?
Puisque les gens se départent de la religion et prônent le libertinage, l’idée d’instaurer l’œuvre dans les années 1960 est loin d’être une mauvaise idée en soit. Par contre, comme cette œuvre est campée dans une période dans laquelle les conventions éclatent, il est un peu difficile de croire que des personnages émancipés discutent en alexandrin. Un temps d’ajustement est nécessaire pour le spectateur, et ce même si le texte jouit d’une profondeur poétique indéniable. Ceci dit, la reconstitution dans les décors et les costumes s’avère irréprochable.
Malgré quelques longueurs lors de la première partie, la pièce recèle d’échanges savoureux et captivants, spécialement celui entre Dorine et Mariane sur le mariage arrangé de cette dernière. (Les spectateurs gobent cette intrigue même si cette pratique ne s’applique plus réellement en 1969.) À travers les solos de guitares ainsi que les menaçantes notes de piano en sourdine, gracieuseté de Jérôme Minière, les protagonistes se manipulent délicieusement. Lors du deuxième acte, lorsque Elmire tente de prouver à son mari qui semble peu se soucier d’elle que Tartuffe la courtise, les spectateurs ont droit à un irrésistible moment burlesque magnifiquement joué et monté. Il s’agit sans aucun doute de la meilleure scène du spectacle.
La distribution excelle. En Emmanuel Schwartz, Denis Marleau a trouvé le Tartuffe idéal. Élancé, face à rentrer dedans, yeux vitreux, ton condescendant, il incarne parfaitement l’imposteur qu’on aime détester. Jamais médiocre, Benoit Brière enrage et fend le cœur à souhait. Rachel Graton interprète efficacement la jeune première qui veut se rebeller. Anne-Marie Cadieux fait preuve d’un jeu physique rafraichissant.
Texte révisé par : Gabrielle Demers