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Soir d’hiver à l’Usine C

Spasme de vivre ou sinistre frisson?

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© Robin Pineda Gould

Par : Sébastien Bouthillier

À la douleur que j’ai transpose en mouvements cette émotion pénible. Virginie Brunelle explore le rapport entre la douleur et soi, mais aussi la relation qui unit ceux qui la subissent. L’audacieuse chorégraphe s’inscrit dans le courant de sa génération : par ce thème, elle traite des difficultés à communiquer et à entretenir des relations.

Les six interprètes brossent un portrait de famille où la nostalgie s’allie à la mélancolie. Les liens les unissant ne se dissolvent jamais, ils permettent  plutôt de plonger dans l’intimité de chacun et dans l’intensité de l’émotion ressentie.

« Les protagonistes deviennent le souvenir de l’autre. La douleur ressort à travers leur sentiment de perte, mais ils l’expriment subtilement. Elle est poétique, chacun devient le souvenir de l’autre et le spectateur peut en déduire ce qu’il veut puisque la pièce est peu narrative. Aussi, je m’éloigne du couple pour explorer d’autres relations, les liens familiaux notamment où les plus vieux se revoient rétrospectivement. Plusieurs lectures demeurent possibles, » déclare la chorégraphe à MatTv.

Le poème Soir d’hiver d’Émile Nelligan a inspiré celle qui contribue à redéfinir les contours de la danse contemporaine. D’ailleurs, le titre de son spectacle est un vers du poème. Elle y puise des images proches du quotidien, mais dont la force et la signification symbolique impressionnent, apparentées à des scènes théâtrales, et qu’Isabelle Arcand, Claudine Hébert, Sophie Breton, Peter Trosztmer, Chi Long et Milan Panet-Gigon dansent.

Virginie Brunelle explique ainsi que « la famille se transforme en témoin du présent et du passé, les interprètes s’assoient devant le public pour prendre une photo en souriant, par exemple. Ou encore, quand certains se cachent les yeux, on peut penser à la manipulation. Le spectateur devient aussi témoin de cette famille. »

Au cœur de son processus créatif, se trouve la douleur, entre autres émotions, que Virginie Brunelle situe dans le corps ensuite. C’est à ce moment qu’émerge une intention ou que le geste dit quelque chose. La diplômée de l’UQAM croit que la danse contemporaine est aux arts de la scène ce que la poésie est à la littérature, faisant siennes les paroles de la critique Catherine Voyer-Léger.

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© Robin Pineda Gould

Inutile de chercher à comprendre rationnellement, il suffit de laisser imprégner par l’intuition et la sensibilité. Des histoires d’amour qui finissent mal tissent la trame de l’œuvre de Virginie Brunelle, qui grossit des actions et des traits de caractère dont elle capte les défauts.  « Je n’ai pas composé avec l’idée d’aboutir à une histoire d’amour qui finit mal, c’est plus inachevé cette fois-ci, déclare-t-elle. La nostalgie et l’insatisfaction sont palpables quand on fouille les souvenirs. La dynamique fulgurante entrecoupée de moments d’immobilité expriment ces émotions. »

À la douleur que j’ai constitue son cinquième spectacle, qui porte sur les relations humaines. Dans Plomb, elle a traité de la solitude post-amoureuse; son Complexe des genres abordait l’identité; Foutrement relatait un triangle amoureux; et elle a dénoncé l’hypersexualisation dans Les cuisses à l’écart du cœur.

« L’expression par le corps m’a toujours attirée. C’est sorti de nulle part, j’ai encore du mal à l’expliquer aujourd’hui. À la base, j’aime bouger, je suis très physique dans mon expression au quotidien. En musique, j’impliquais beaucoup mon corps également. »  Durant l’enfance et l’adolescence, Virginie Brunelle s’adonnait au violon. À 20 ans, la danse l’attire, puis elle obtient son baccalauréat en danse, profil création, en 2007.

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j’ai, que j’ai.

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire! où vis-je? où vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés :
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À tout l’ennui que j’ai, que j’ai!…

Émile Nelligan (vers 1898)

Publié par Louis Dantin, Le Débat, le 14 septembre 1902

À la douleur que j’ai, présenté à l’Usine C jusqu’au 26 novembre.

Crédit photo de couverture : © Robin Pineda Gould

Texte révisé par : Annie Simard