Nouveau spectacle des 7 doigts de la main
© Gabriel Talbot / MatTv.ca
Par : Maxime D.-Pomerleau
Pour terminer l’année 2016 en beauté et en virtuosité, la TOHU vous invite à découvrir la toute dernière production des 7 doigts de la main, compagnie de cirque qui fait la fierté de Montréal. Un spectacle acrobatique et théâtral où l’extraordinaire côtoie le quotidien, porté par des artistes hors pair.
Fidèle au style de Les 7 doigts, on reste dans une forme classique de cirque contemporain; soit un enchaînement de numéros tenus ensemble par un fil narratif qui trouve sa force surtout dans le pouvoir d’évocation. C’est une quatrième collaboration entre la metteure en scène Gypsy Snider, elle qui a signé Loft, Traces et Intersection, un spectacle produit pour Montréal complètement cirque en 2014. Attirée par la nature humaine dans ce qu’elle a de plus beau, d’imparfait et de fragile, Snider rend tangibles ces liens hasardeux qui se tissent au fil des rencontres, des grands bouleversements et des petites histoires anonymes. Son travail tend souvent à revenir aux sources, d’où le point de départ du spectacle, où chaque interprète s’adresse à ses ancêtres en français, en anglais et en espagnol.
© Gabriel Talbot / MatTv.ca
La théâtralité et la danse contemporaine prennent beaucoup de place dans Réversible et sont élégamment intégrées. Les mouvements des interprètes sont extrêmement fluides, sentis et crédibles, davantage même que dans Triptyque. On les sent très à l’aise dans les chorégraphies et on s’accroche à la poésie exprimée par leurs corps, tant au sol que dans les airs.
Comme décor, trois murs, quelques cordages, des appareils de cirque dissimulés ici et là. Les murs bougent dans tous les sens, illustrant chambres d’hôtel où l’on peut passer à travers les fenêtres (numéro d’accro) ou un minuscule appartement, contraignant l’espace pour le numéro de roue allemande de Julien Silliau. Ils forment notamment une barrière visuelle efficace pour dissimuler la planche coréenne au début de ce numéro, et il est inusité de voir le voltigeur Jérémi Lévesque ainsi que Vincent Jutras apparaître dans les airs, dépassant le mur, plus haut chaque fois. Une manière originale de titiller le public avant de lui dévoiler le mécanisme derrière ces sauts périlleux.
Si on a souvent l’impression qu’il y a beaucoup de « tournage de mur » pour tourner des murs, ce n’est définitivement pas le cas lors du numéro de jonglerie mené par Natasha Patterson, artiste qu’on dirait tout droit sortie d’un film muet de l’âge d’or d’Hollywood. Le carrousel formé par les murs, poussés par l’équipe, est formidable à voir aller. Une utilisation complète et originale de la scénographie, qui reste malheureusement souvent dans des lieux communs, abusant des portes claquées et incorporant des éléments intéressants mais peu exploités (la corde à linge, le tissu de parachute de la finale).
© Gabriel Talbot / MatTv.ca
Le numéro le plus mémorable est sans équivoque celui du mât chinois, avec une performance à couper le souffle de Julien et Émilie Silliau. Loin de se contenter d’exécuter les habituelles figures et sauts acrobatiques, le couple se lance dans un main à main statique de haut calibre SUR le mât chinois. À plusieurs reprises Émilie se trouve en équilibre, debout sur le torse de Julien ou les pieds dans ses mains, alors que lui ne tient qu’avec ses jambes. Les images de cette romance à la verticale, tout en tensions et en relâchements, sont saisissantes. La présence des autres interprètes au sol contribue aussi à rendre la démonstration de force encore plus impressionnante. Le mariage des deux disciplines acrobatiques nous rappelle l’ingéniosité et l’avant-garde dont font preuve les 7 doigts dans l’exécution de prouesses. Ils décrochent même le mât alors que Vincent est à son sommet, tanguant comme un marin installé à la vigie d’un navire. Les 7 doigts de la main ont mis la barre haute pour ce magnifique tableau.
Émilie Silliau et Emi Vauthey, qu’on avait vues dans les Coups de cœur de la TOHU, se démarquent avec le numéro d’acrobaties aériennes, où éMILIE s’agite à la corde lisse et Emi dans le tissu blanc, chacune dans une pièce formée par les murs. Il était vraiment intéressant de les voir s’exécuter en parallèle, alors que le tissu aérien est généralement un numéro solo. Parfois ensemble, souvent séparées mais se répondant dans les gestes et les positions, les contorsionnistes ont impressionné le public par leur talent et leur capacité à résoudre certaines transitions et à réaliser des figures de styles recherchées.
© Gabriel Talbot / MatTv.ca
Colin Gagné, en collaboration avec Sébastien Soldevila, assure la direction musicale du spectacle. On reconnaîtra sur certains numéros les voix de Frannie Holder (Dear Criminals), d’Alexandre Désilet, de Dominique Hamel et de Leif Vollebekk. Les mélomanes seront heureux d’apprendre que la trame sonore est disponible sur Bandcamp, fait rare dans le milieu. Pas besoin d’ouvrir son cellulaire et de tenter de Shazamer la chanson subtilement!
Avec Réversible, Les 7 doigts de la main réussissent, une fois de plus, à brouiller les frontières artistiques entre les disciplines. On épargnera quelques ratées des artistes, ça ne fait que les rendre plus humains à nos yeux. L’immense talent de la compagnie se trouve justement dans la capacité à montrer l’intime et le collectif, la pureté et les défauts, la beauté et l’imperfection de chaque être humain. C’est sur cet héritage, solide et mouvant à la fois, que nous nous posons tous comme acteurs de demain, mais surtout, d’aujourd’hui. À la TOHU jusqu’au 30 décembre.
Crédit photos © Gabriel Talbot / MatTv.ca
#Réversible
Texte révisé par : Annie Simard