Un cirque américain signé Larry Tremblay
Par : Annie Dubé
Tout débute par l’entrée en scène de deux guignols dont la clownerie rappelle un air de Becket. Abraham Lincoln va au théâtre est-elle une pièce ou une psychose sociétale? Voilà ce qu’on se demande en sortant du Théâtre du Nouveau Monde après avoir vu la vertigineuse création signée par la plume de Larry Tremblay.
Laurel et Hardy : on ne sait pas pourquoi, mais d’accord!
Mani Soleymanlou et Luc Bourgeois interprètent un duo d’acteurs qui nous amène tranquillement au cœur de cette spirale étoilée, avec leurs habits de Laurel et Hardy. Le duo comique et sa légèreté contraste efficacement avec un texte dont la profondeur laisse réfléchir des jours durant, par ses explorations de la lutte fondamentale entre le dominant et le dominé, et l’amour de la violence qui anime le moteur de la civilisation américaine.
Avec son aller-retour entre le présent et le passé des protagonistes devenus personnages, ce spectacle devient une sorte de monstre sans queue ni tête (mais avec des couilles!), qu’on prend plaisir à voir grandir et s’animer devant nos yeux fascinés. L’histoire s’écrit avec un petit et un grand H.
Hilarants, les acteurs Soleymanlou et Bourgeois offrent l’humanité imparfaite qui sert de visage à cette trame improbable, inspirée de faits réels, surréels, irréels. Ils sont en quelque sorte le fil conducteur de cette pièce décousue, et ce, de manière succulente.
Les images projetées tout au long du spectacle ne cessent de nous amuser, sans jamais qu’on se tanne des métamorphoses dans lesquelles on nous plonge, au rythme de l’intrigue qui mute et se déguise.
Psychose américaine sur nid des légumes, à la sauce québécoise!
Bruno Marcil, dans le rôle d’un metteur en scène particulièrement glaçant, est le parfait Lincoln avec son maquillage et son costume, et il réussit même à nous émouvoir malgré sa froideur statique, dégoulinante de mépris envers les hommes qu’il traite en objets. Alors qu’il se transforme lui-même en une taxidermie de cire, il nous intrigue et nous aspire dans l’abysse de cette intrigue, à la fois au sujet du théâtre que de la politique, que de la politique du théâtre, et du théâtre de la politique.
Malgré le sérieux des enjeux sociaux dramatiques soulevés sous la poussière de ce cirque, on rit sans fond et on s’attache à l’humanité de cette bulle absurde, qui se transforme lentement sous des airs psychotiques.
Didier Lucien est particulièrement troublant au fil de sa transformation, alors qu’il fait son irruption dans l’histoire de manière qui se clarifiera tout au long.
La mise en scène de Catherine Vidal et le décor, composé d’un énorme miroir à demi-brumeux d’un lieu institutionnel qui reflète l’image du public sur la scène, sont parmi les ingrédients de cette réussite théâtrale, dont on apprécie le voyage jusqu’au bout de la folie.
Était-ce une surcharge d’information, ou un simple mal de siège, après 1 h 50 sans entracte, qui a causé une fatigue mentale énorme lors des dernières minutes de cette pièce qui se déroule en spirale étourdissante?
Je ne sais pas! Mais au fond, cet étourdissement est très efficace pour ressortir de là sans trop mettre le doigt sur ce qui s’est déroulé exactement, tout en ayant une énorme dose d’amour pour ces acteurs de grands talents qui ne cessent de nous étonner tout au long de ce trip d’acide, aux couleurs de bad trip et d’absurde comédie humaine.
À voir jusqu’au 8 avril au TNM.
Texte : Larry Tremblay
Interprétation : Luc Bourgeois, Mani Soleymanlou, Bruno Marcil, Didier Lucien
Mise en scène : Catherine Vidal
Crédit image de couverture : Yves Renaud
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