L’Esprit des Fêtes

Vous marchez sur la portion piétonnière de la rue Ste-Catherine à Montréal. Il fait sombre car les journées sont courtes et un froid humide vous traverse. Vous vous dirigez vers la Place-des-Arts qui présente jusqu’au 30 décembre le Ballet Casse-Noisette. Quelques dossiers au travail vous chicotent, puis intérieurement vous révisez la liste des choses à faire avant les Fêtes; sans compter la lourdeur des nouvelles aux actualités. Vous pénétrez finalement dans l’enceinte du plus grand complexe culturel et artistique au Canada et prenez la direction de la salle Wilfrid-Pelletier. Les Grands Ballets Canadiens y danseront des chorégraphies de Fernand Nault, sur la musique de Tchaïkovsky. Plus tôt dans la journée, vous aviez fait une brève recherche sur Wikipedia et vous avez appris que le ballet est une adaptation de la version d’Alexandre Dumas du conte allemand Casse-Noisette et le Roi des souris d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, publié en 1816. Il s’agit d’un classique de Noël interprété à Montréal depuis 1964.

Devant le hall de la salle, décoré de boules de Noël scintillantes, une foule s’active pour y pénétrer. Déjà votre cœur se réchauffe. Vous laissez votre manteau au vestiaire, un peu comme on laisse un fardeau afin de s’alléger un peu et, au milieu de personnes qui ont mis leurs beaux atours, vous cherchez votre place parmi les 3000 disponibles. Vous vous assoyez, impatient et un tantinet dubitatif sur ce que pourra vous apporter une œuvre d’une autre époque. Dans la fosse, les musiciens de l’Orchestre des Grands Ballets ajustent leurs instruments alors que des écrans de chaque côté de la salle nous montrent la danseuse Maude Sabourin qui nous explique les aspects caritatifs du spectacle Casse-Noisette. Les lumières s’éteignent et le spectacle commence enfin.

Place au spectacle

Instantanément, le charme opère. Vous vous retrouvez ailleurs, enveloppé dans quelque chose de chaud et réconfortant; un sentiment esthétique qui s’apparente aux salons victoriens. Une impression d’être entouré de meubles massifs et élégants, de tentures lourdes aux motifs exotiques et ornées d’ourlets sophistiqués, de trophées de chasse accrochés aux murs accompagnés d’innombrables portraits de grands individus dont on a oublié les noms, de bibelots clinquants provenant des quatre coins de l’empire et d’un feu resplendissant dans l’âtre. Il ne peut rien vous arriver, vous flottez sur la puissance de la musique et de la danse.

Le spectacle vous permet alors de vous évader grâce à une explosion de costumes et de décors somptueux, sous une mise en scène bienveillante de Ivan Cavalleri. L’extraordinaire brio des danseurs, allié à la force de l’orchestre sous la direction de Dmitri Zrajevski, provoque une synergie où le résultat est plus grand que la somme des parties.

L’histoire de la petite Clara devient la vôtre et lorsque minuit sonne pour elle, vous plongez dans son monde en oubliant tout ce qui vous a amené devant cette féérie. À la deuxième partie de la représentation, comme si cela était possible, on vous transporte encore plus profondément dans cette ambiance impériale de l’Europe du 19^e siècle. Pendant quelques minutes, vous êtes un Baron ou une Duchesse qui goûte aux plaisirs de la haute société. Un étrange sentiment de frivolité et de joie vous envahit et il ne vous laissera plus.

Soudain, le ballet prend fin sans crier gare, à votre corps défendant. Pas seulement parce que l’histoire se termine d’une façon un peu abrupte, mais surtout parce que vous ne souhaitez pas quitter cet univers réconfortant. Il vous faut donc quelques moments pour l’accepter et vous joindre aux applaudissements de la foule, puis vous quittez la salle, suivant le flot d’individus. Dans le couloir menant au métro, quelque chose a changé chez vous. Est-ce que ce sont lumières et les couleurs de Casse-Noisette qui vous portent ou agissent encore comme un filtre devant votre regard? Non, vous avez maintenant l’esprit des Fêtes.

Pour que la magie fasse son effet, on doit se rendre à la Place-des-Arts afin d’admirer les danseurs des Grands ballets Canadiens nous montrer qu’il reste un peu d’espace en notre for intérieur pour l’enchantement.

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