De la dictature à l’individu?
En 2013, le livre de Svetlana Alexievitch, La Fin de l’homme rouge ou le Temps du désenchantement, paraît. Elle y recueille des centaines de témoignages provenant de différentes régions de l’ex-union soviétique. Quatre de ces témoignages ont été mis en scène par Catherine De Léan au Théâtre de Quat’sous dans la pièce La Fin de l’homme rouge qui sera présenté jusqu’au 23 mars prochain.
La présentation de quatre monologues représentait un défi évident d’un point de vue théâtral. Juxtaposer quatre récits qui n’ont comme point commun que d’étaler des visions post-soviétiques aurait pu se transformer en un sérieux casse-gueule. Ce n’est pas arrivé. Le résultat tient très bien la route. Le choix des textes, les liens scéniques et le jeu des acteurs nous font même oublier cette plate réalité qu’il s’agit de discours disparates.
Une certaine progression historique rythme les laïus qui s’enchaînent. Chez les premiers, on y sent le poids d’un passé soviétique et inhumain. On y perçoit des individus comme des bouteilles pétées que l’on ne peut plus remplir d’alcool patriotique. Ils resteront vides, épaves ballotées par des souvenirs difficiles.
Puis on avance dans le temps. Les sentiments d’une contemporaine de la période où le capitalisme apparaît et explose à Moscou s’apparentent à ce qu’ont pu vivre certains américains au 19e siècle, ère glorieuse du capitalisme sauvage. De grandes réussites qui apparaissent un peu trop faciles. Des émotions mitigées entre le succès financier et des valeurs prolétariennes. Chez un peuple qui n’a connu que les fouets du tsar et les armes communistes, cette ambivalence est exacerbée.
Enfin, une jeune personne non-binaire, dont la naissance l’a obligé de faire son service militaire, vient d’une certaine façon boucler la boucle. Elle parle de violence avec détachement, se détache nettement d’une affection patriotique et salue amicalement ses prédécesseurs; un peu comme si son cheminement personnel était la suite logique des épreuves que les autres ont subies. On y sent une touche d’espoir, une toute petite place pour l’individu et l’humanité qui l’accompagne.
Pour débuter le spectacle, on a confié à Dominique Quesnel la tâche de casser la glace. Elle donne le ton. Le texte est senti, vécu. Elle devient la babouchka qui peuple notre imaginaire de ce monde adversaire et honnis. Le reste de la distribution, Laurence Dauphinais, Vitali Makarov et Micha Raoutenfeld, n’ont d’autres choix que de continuer dans ce sillon que vient de tracer la vieille femme.
Aussi, on peut se demander, 11 ans plus tard, au beau milieu d’une guerre européenne, que seraient devenus ces témoignages recueillis. La pièce ne nous donne pas de pistes de réflexion particulières à cet égard. Est-ce que le désenchantement persiste ou s’est transformé en autre chose? « Stay tuned » comme on dit. C’est le problème des « post- » qui sont encore proches des bouleversements.
Le spectacle est à l’affiche au Quat’sous.
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