L’élégance du contrôle à la chaleur du lâcher-prise

Par : Bruno Miguel Fernandes
J’avais passé la journée à courir après le temps. Ce genre de journée où même mon café semblait fatigué et en retard. Et puis, en entrant dans la Place Bell, tout s’est mis à ralentir. Je me suis donné le droit de vivre le moment présent, de recevoir la proposition de Parcels et de The Lemon Twigs comme une pause de qualité. Les deux groupes se rencontraient dans le cadre de la tournée de Parcels pour souligner leur plus récent album LOVED.
Originaire d’Australie, Parcels est le genre de groupe qui donne l’impression que tout est sous contrôle. Leur électropop aux accents funk et disco se joue comme une mécanique parfaitement huilée : chaque instrument suit sa propre logique rythmique, mais tout finit par s’emboîter avec une élégance presque mathématique. Il y a dans leur son quelque chose de propre, de précis, d’ultra léché, sans jamais être froid. On sent la recherche du beau, du détail, de la finesse entre groove et émotion. Parcels, c’est l’élégance du contrôle, celle qui transforme une simple ligne de basse en déclaration d’intention.
The Lemon Twigs, groupe de rock américain, arrivent avec une énergie tout autre. Leur rock vintage a ce charme délicatement rétro, où chaque riff, chaque harmonie et chaque envolée mélodique semble pensé pour refléter l’esprit des années 60-70, quelque part entre les Beatles et les Beach Boys. Là où Parcels mise sur le raffinement moderne, les Twigs se présentent comme des artisans d’une époque réinventée, jouant avec les codes du rock classique pour proposer une expérience fidèle à ses racines, mais étonnamment vivante.
Beau sur disque, sage sur scène

Après une entrée discrète et quelques accords de guitare devant une salle remplie au quart, c’est un départ un peu sec pour The Lemon Twigs. L’offre est simple, sans jeu de lumière ni artifices : juste les quatre membres du groupe, en ligne au centre de la scène. La musique et le style sont précis, fidèles à l’époque et à leurs influences. Peut-être une attente personnelle, sans doute à tort pour une première partie, mais ce manque de mouvement et de superficialité scénique cadre mal avec l’ampleur d’un spectacle en aréna.
Au fil de la performance, la Place Bell se remplit, mais la foule reste timide, presque statique. Étrange énergie entre le band et le public, difficile à comprendre quand on pense au rythme enjoué des morceaux et aux solos de guitare bien sentis. Il faut leur reconnaître des harmonies impeccables et des riffs précis, agréables à l’oreille. Mais c’est aussi exactement ce qu’on retrouve sur l’album. Ma curiosité de voir comment le groupe pouvait transposer son talent musical avec une coche de plus sur scène n’a pas été assouvie. Si la recherche de précision, surtout dans les harmonies, se fait au détriment de la présence, on peut aussi bien simplement écouter leur discographie. La musique était bonne, la performance un peu moins.
Entre le plan et l’improvisation

Après trente minutes d’entracte, c’est devant une salle pleine et prête à libérer son énergie que Parcels débarquent sur scène. Et la soirée n’allait pas se conclure comme elle avait commencé. Dès les premières secondes, on comprend qu’on assiste à une expérience pensée dans les moindres détails. La scène, construite sur plusieurs niveaux, permet au groupe de jouer avec plusieurs variantes de profondeur. De chaque côté, deux caméras montées sur rails captent les musiciens sous tous les angles : gros plans soignés, panoramiques lents, mouvements précis. Rien n’est laissé au hasard, et le résultat est splendide.
Dès les premières notes de Tobeloved, on sent la complicité entre les musiciens. Ils se partagent avec brio les moments collectifs, où tout s’emboîte dans un groove complexe et entraînant, et ceux où chacun prend un peu plus le spotlight pour faire parler son talent. Leur son millimétré respire l’équilibre parfait entre rigueur et plaisir. Des harmonies impeccables, des transitions fluides, un son rond et précis. Un mélange tout en contrôle, entre des moments de justesse sublime et des passages plus libres où les musiciens se lâchent et laissent le plaisir contagieux s’emparer du moment.
Quand la maîtrise devient liberté

Leur maîtrise impressionne, surtout quand elle se fissure au bon moment. Safeandsound offre une fin explosive : solo de guitare endiablé, puis descente planante au piano menant vers Gamesofluck, conclue sur un crescendo électrique. Puis vient Summerinlove, une ballade tendre pendant laquelle les caméras filment la foule et projettent à l’écran des couples qui s’embrassent. C’était sincère et beau.
Le groupe prolonge ce moment en s’asseyant devant la foule pour une version acoustique de Leaveyourlove. Si leurs harmonies vocales étaient déjà impressionnantes jusque-là, cette prestation les rend magiques. C’était touchant et sensible.
Ensuite, Everyroad et Lordhenry déchaînent des solos de guitare effrénés avant Thinkaboutit, où un solo de batterie de plus en plus rapide donne au spectacle ce petit côté laisser-aller typique de Parcels. Les grands morceaux comme Overnight, Somethinggreater, Tieduprightnow, IknowhowIfell et Lightenup font lever la foule avant que le groupe ne conclue avec Tobeloved, revisitée en version presque électronique pour une dernière chance de bouger avant le rappel.
Chaque chanson propose une improvisation, un solo, un détail de plus qui montre leur capacité à rejouer leurs œuvres avec précision tout en se permettant de surprendre. C’était authentique et spontané.
Parcels rappelle qu’on peut faire danser le contrôle et que la rigueur peut être belle quand elle vibre de sincérité. Leur groove précis, presque fragile par moments, m’a ramené à cette idée simple : parfois, on a juste besoin d’un peu d’harmonie dans le chaos. Ce soir-là, ils m’ont offert exactement ce dont j’avais besoin. Et si vous avez la chance d’aller les voir en concert, faites-le : leur musique prend une autre dimension sur scène, celle où la précision devient émotion et où le contrôle se met à groover avec finesse et passion.


