Entre douceur et puissance vocale

Par : Mathieu Pedneault
Vendredi soir, la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts vibrait d’une énergie feutrée. Pas d’effets pyrotechniques, pas de surenchère — juste une salle comble, prête à accueillir Sarah McLachlan, l’une des voix les plus reconnaissables et les plus émouvantes du Canada… et, osons le dire, de la planète.
Le concert, présenté par Evenko, marquait le 30ᵉ anniversaire de son album mythique Fumbling Towards Ecstasy — une œuvre culte qui a façonné toute une génération d’auditeurs. Trente ans plus tard, l’« extase » promise par le titre n’a rien perdu de sa puissance.
Une première partie pleine de grâce : Tiny Habits

Difficile d’imaginer meilleure mise en bouche que Tiny Habits, trio vocal venu tout droit de Boston. Trois voix en parfaite harmonie, à la croisée du folk et du rêve éveillé. Pas de flafla, pas de bruit : juste des mélodies aériennes qui flottaient dans la salle comme une brise tiède.
Dès les premières notes, on sent qu’on assiste à quelque chose de rare : la complémentarité parfaite des trois voix, leur maîtrise du silence, la tendresse dans leurs nuances. Durant quarante minutes, ils ont capté l’attention du public — ce qui, avouons-le, est loin d’être gagné pour une première partie. Là où, souvent, on se dit « vivement la tête d’affiche », Tiny Habits a réussi à nous faire oublier le temps.
C’était d’une douceur planante, un moment suspendu entre la simplicité et la magie. Leur style s’accordait parfaitement avec celui de Sarah McLachlan : même sensibilité, même profondeur émotionnelle, même recherche d’harmonie. On sentait déjà un fil invisible relier les deux univers.
Sarah McLachlan : la virtuosité tranquille

À 20 h 40, les lumières se sont tamisées. Sarah est entrée, souriante, guitare à la main, humble comme toujours. Elle nous a tout de suite confié qu’elle souffrait d’une pharyngite — et qu’elle allait « faire de son mieux ». Une annonce qui aurait pu inquiéter… mais dès la première chanson, l’inquiétude s’est évaporée.
Rien dans sa voix ne trahissait la moindre faiblesse. La même puissance feutrée, la même précision cristalline, la même maîtrise du souffle. Sarah McLachlan, c’est cette artiste rare qui n’a pas besoin d’en faire trop : elle se contente d’être vraie. Et cette vérité, elle résonne.
Sa voix a ce pouvoir unique : elle t’enveloppe et te transperce à la fois. C’est une voix qui console, qui élève, qui te ramène quelque part entre le rêve et la lucidité. « Enchanteresse », diront certains ; « angélique », diront d’autres. Moi, je dirais simplement : humaine, dans ce qu’il y a de plus pur.
Un groupe d’une justesse remarquable

Derrière elle, une équipe de musiciens soudée : une chanteuse-guitariste aux harmonies célestes, un bassiste précis, un claviériste enveloppant, un batteur sobre et efficace, une seconde guitare subtile.
L’ensemble formait une tapisserie sonore parfaitement équilibrée, soutenant la voix sans jamais la masquer. Dans la Salle Wilfrid-Pelletier, réputée pour son acoustique exceptionnelle, le son était limpide. On percevait chaque respiration, chaque corde, chaque note suspendue.
Là où plusieurs artistes succombent à la démesure du mixage, Sarah et son équipe ont choisi la clarté, la sobriété, la précision. Résultat : une soirée où chaque chanson devenait un paysage intérieur.
Trente ans d’« Ecstasy » revisités

Le spectacle, conçu pour célébrer les 30 ans de Fumbling Towards Ecstasy, portait un parfum de nostalgie — mais une nostalgie lumineuse. Pas tournée vers le passé, mais vers la continuité.
Sarah revisitait ses classiques avec un regard tendre, parfois en les réarrangeant légèrement, mais sans jamais trahir leur essence. Elle nous a offert les pièces phares de l’album. Chaque morceau semblait flotter entre gratitude et mélancolie. Et le public, lui, écoutait religieusement. Il y avait ce silence rare, celui des salles où personne ne veut rompre la magie.
« Angel » : l’apothéose

Évidemment, le moment le plus attendu — et le plus chargé d’émotion — fut Angel. Quand les premières notes ont retenti, un frisson collectif a parcouru la salle.
Sarah a d’abord chanté seule, puis, surprise : les membres de Tiny Habits sont revenus sur scène. Leurs trois voix, ajoutées à la sienne, formaient une alliance céleste. C’était comme si le temps s’était arrêté ; un moment d’élévation pure.
Cette chanson, que tout le monde connaît, reprenait ici tout son sens : la compassion, la perte, la lumière qu’on cherche dans la douleur. C’est dans ces minutes-là qu’on comprend pourquoi Sarah McLachlan continue de toucher des millions de personnes.
Quelques faits et chiffres
Sarah McLachlan, originaire d’Halifax, a vendu plus de 40 millions d’albums à travers le monde. Elle a remporté 3 Grammy Awards et 12 Juno Awards.
Fumbling Towards Ecstasy (1993) est considéré comme son album le plus emblématique, celui qui l’a propulsée au rang d’icône de la scène canadienne et internationale. Elle a aussi fondé le Lilith Fair, un festival célébrant les artistes féminines, devenu un symbole de sororité musicale.
Un moment suspendu

Ce concert à la Place des Arts n’était pas simplement une tournée anniversaire : c’était une rencontre intergénérationnelle — majoritairement composée de spectateurs de 40 ans et plus — entre une artiste et un public qui a grandi avec elle.
On sentait, dans la salle, autant de fans de la première heure que de nouveaux visages, venus découvrir ce que la douceur peut encore signifier dans un monde bruyant.
Sarah McLachlan n’a pas besoin d’artifices. Elle incarne cette idée qu’on peut être immense tout en restant sobre. Et ce soir-là, malgré sa pharyngite, malgré les décennies passées, elle a prouvé qu’elle est toujours au sommet de son art.
Verdict final
Une soirée d’une pureté rare, entre virtuosité et vulnérabilité. Une artiste qui ne cherche pas à impressionner, mais à émouvoir. Et un public qui, en sortant, avait sans doute l’impression d’avoir touché — l’espace d’un instant — quelque chose qui ressemble à… l’extase.
Je vous laisse sur le galerie des photos de notre photographe Martin Paquin
Crédit photo : Martin Paquin / Mattv
 
				 
															





















