Le théâtre de tout les silences

Par : Marin Agnoux
Au creux du silence apaisant d’un lundi soir hivernal, entre les moulures du Théâtre Beanfield, le Festival international de Jazz de Montréal nous présente l’artiste mexicaine Silvana Estrada avec en première partie Bedouine.
Après son dernier album Vendrán Suaves Lluvias, en partie enregistré à Montréal, où le folk s’affirme par de nouvelles couleurs, Silvana revient dans nos contrées plus fraîches pour nous présenter son nouveau spectacle d’une grande intimité. L’acoustique prend son sens dans chaque corde, chaque souffle, chaque chant enveloppant de soie les oreilles attentives du public. Silvana conte des histoires, des histoires que l’on n’a pas l’habitude d’entendre. À la musique teintée de jazz, de folk, d’indie rock, les récits prennent consistance dans un folklore enivrant aux apparences parfois difformes, dissonances brisées par le violoncelle et la lap steel guitar.

Aux côtés de cinq musiciens multi-instrumentistes, les morceaux de Silvana Estrada se démêlent des allures classiques des albums pour trouver leur liberté. Traversant les anciens projets avec Detesto en Mí jusqu’aux plus récents avec Good Luck, Good Night et Flores, l’artiste chante d’une voix flirtant avec l’irréel, se baladant dans chaque recoin qu’elle peut atteindre, avec la douceur qui ne fait que les effleurer.
Calmes, nous écoutons Silvana, dans une proximité touchante : elle nous parle, raconte ses musiques et ce que l’on peut en tirer. Pourtant, elle ne parlera ni français ni anglais. Mais pour moi, sans parler espagnol, tout se comprend comme si les différences de langue s’étaient évaporées ce soir-là. Elle prendra un moment pour interpréter Clandestino de Manu Chao, réécrite et nommée Clandestina ; elle choisira de la dédier à toutes les Clandestinas (Clandestines), un geste peu anodin.

Entre les claviers presque vaporeux sur lesquels chaque autre musicien se pose, et le saxophone duquel on peut encore entendre la respiration, Silvana Estrada place sa voix sur son cuatro vénézuélien (instrument à quatre cordes) et redonne au texte une nouvelle vie, là où la batterie donne la cadence de chaque pas tâtonnant le velours.
C’est avec les quelques notes de guitare de Sabré Olvidar que la salle, elle aussi, se met à chanter. Dans un instant figé, le public s’emporte avec la chanteuse dans un chœur d’une justesse parfaite. Sans s’arrêter, la mélodie de Tristeza, d’un subtil enchaînement, déguise le théâtre en une chorale presque sacrée sortie des contes et des légendes angéliques.

Ce soir, je me souviens. Je me souviens de Lhasa de Sela et de son concert enregistré à Reykjavik. Dans l’ombre d’une chanson, elle m’est apparue, traversant la salle et la présence de Silvana Estrada. C’est cette légèreté innée avec laquelle Lhasa pouvait nous bercer dont je me souviens, la même que Silvana, emplie d’une bonté à la beauté simple et de la tendresse d’un murmure.





















