Dialogues de sourds
©Jean-François Hamelin
Par : Marie-Claude Lessard
Rassemblant 15 saynètes tirées des oeuvres Les Diablogues et Les Nouveaux Diablogues, la pièce, présentée au Théâtre du Rideau Vert depuis le 29 mars et en coproduction avec la compagnie de création UBU, glorifie la verve particulière et fascinante du dramaturge français Roland Dubillard. Des couples formés des comédiens Sylvie Léonard, Carl Béchard, Bruno Marcil, Isabeau Blanche, Bernard Meney et Olivier Morin se succèdent à tour de rôle pour pérorer sur des sujets bénins d’apparence qui dissimulent pourtant de saisissantes remarques sur le vide de l’existence.
Les premières scènes s’étiolent volontairement. On y jase naïvement de musique classique, d’huîtres, de peinture et de politique. Les protagonistes s’obstinent, argumentent, parlent pour rien dire et se répètent afin de momentanément sortir du carcan de solitude les oppressant. Par le biais d’un langage soigné et d’un français normatif irréprochable, les personnages déguisent leur anxiété et leur mal-être en dialogues futiles. Prises au premier degré, ces conversations peuvent paraître exagérées et invraisemblables. Or, au fur et à mesure que la pièce avance, des métaphores telles que prétendre être une pendule jaillissent et ruissellent de réflexions incroyablement justes et poignantes sur le temps dictant nos vies.
©Jean-François Hamelin
Intégrant des moitiés d’objets (une table, un paravent…) à des photographies numériques mouvantes de lieux classiques (salon, bibliothèque, bureau d’un psychologue…), le décor épuré insuffle à l’oeuvre la distanciation esthétique dont elle a besoin pour que les joutes verbales prédominent. Médium indissociable du Théâtre UBU, le multimédia s’incorpore ici sobrement et élégamment, en plus d’être délicatement appuyé par la trame sonore signée Jérôme Minière. Le metteur en scène Denis Marleau marie habilement abondance de mots et économie de gestes, même si certains tableaux manquent de rythme. Par contre, la fusion entre le déliement de la langue et la quasi immobilité des corps atteint son apogée dans les numéros Le compte-gouttes et Boutique 3 : Psychothérapie d’une pendule.
La distribution, formidable et à la diction impeccable, se prête admirablement à un exercice physique fort périlleux. Les acteurs maîtrisent parfaitement la complexité du langage et rendent attachants des personnages condescendants. Isabeau Blanche et Olivier Morin font preuve d’une énergie et d’un charisme exemplaires. Sylvie Léonard, totalement captivante, hérite des répliques les plus bouleversantes et mémorables. Bernard Meney, de son côté, affiche un aplomb extraordinaire. Ceci dit, la palme revient à Carl Béchard et Bruno Marcil, tout simplement magistraux dans une scène d’anthologie où il est question, au propre comme au figuré, de ping-pong.
©Jean-François Hamelin
Les Diablogues séjourne au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 23 avril. Réservez votre siège dès maintenant!
Texte révisé par : Annie Simard