Baignade dangereuse au cœur d’un classique
©Facebook : A Bigger Splash
Par : Ambre Sachet
Marianne Lane, rock star internationale, s’exile avec Paul sur l’île italienne de Pantelleria après une opération des cordes vocales qui l’empêche de parler. Le couple voit ses vacances paisibles perturbées par l’arrivée d’Harry, ex-amant et producteur de la chanteuse, et de sa fille Penelope, sulfureuse adolescente en quête de sensations fortes.
Un quatuor à huis clos
Après Amore (2009), le réalisateur italien Luca Guadagnino revient avec un remake qui n’avait pas forcément lieu d’être, celui du classique cinématographique de Jacques Deray avec Alain Delon et Romy Schneider : La piscine (1969). On retrouve avec A Bigger Splash le même quatuor de bourgeois à la plastique loin d’être ingrate réunis à huis clos dans une villa et l’ambiance inquiétante de sa piscine.
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Une dynamique étrange s’installe rapidement lorsque Harry Hawkes, interprété par Ralph Fiennes, fait ressurgir un passé que Marianne croyait enterré, celui d’une jeunesse pour laquelle les Rolling Stones, la cocaïne et le sexe étaient monnaie courante. Là où Deray excelle par une tension dramatique palpable et exponentielle avec La piscine, Guadagnino déçoit par un scénario prometteur qui finit malheureusement par ne jamais prendre son envol.
Trahison, drame, vice : les pires actions sont à l’honneur alors que le réalisateur italien ne fait que rester en surface quant à l’approfondissement des tempéraments et d’une quelconque complicité entre les protagonistes. On vit la Dolce Vita, on trompe, on commet l’irréparable… a contrario c’est le vide émotionnel et le manque d’intensité qui prédominent.
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Malgré les flashbacks sur l’idylle entre les deux aînés et les plans serrés de Guadagnino toujours à la limite de l’intrusion, l’identification aux personnages aussi inaccessibles en termes de classe sociale qu’en termes de sentiments demeure improbable. Du film de Guadagnino est absente cette dimension sociale et esthétique provoquée par l’infécondité des sentiments d’Antonioni (L’Eclipse, 1962). Sélection officielle pour la Mostra de Venise 2015, le film ne préservera que les dialogues simples et les instants d’improvisation du néoréalisme italien.
Endurer la présence d’Harry relève de l’insoutenable pour Paul, documentariste renfermé et jaloux, qui, au bord de l’asphyxie, réalise que celui qui a été son ami aura toujours une longueur d’avance aux yeux de Marianne. Constamment nus bien que dépourvus de sensualité, les quatre personnalités se noient progressivement dans leur propre suffisance.
Interprétation sans fond
Fidèle muse du cinéaste, bientôt à l’affiche de son dernier opus Suspiria (2017), Tilda Swinton reprend le rôle de la quadragénaire assagie succombant à l’appel de la chair, qu’elle avait déjà campé dans Amore lorsqu’Emma Recchi s’éprend du jeune cuisinier Antonio. Ayant elle-même apporté l’élément muet à son personnage, il est intéressant de voir une actrice aussi charismatique que Swinton illustrer l’ensemble des non-dits qui maintient l’aspect pesant du long-métrage. Triste est de constater qu’elle n’ira pas plus loin dans l’exploration du silence en tant qu’acteur à part entière, comme celui-ci a pu l’être chez Deray.
Déception du côté de Ralph Fiennes, majestueux dans Le patient anglais et La Liste de Schindler, qui joue l’exubérance et l’accro au sexe sans y donner une véritable résonance. Vicieux dans la relation qu’il entretient avec sa fille, déterminé à récupérer Marianne, Harry danse avec frénésie, mais sans éthique sans jamais éclaircir les zones d’ombres de la démence dans laquelle il s’enferme.
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Une doublure cinématographique qui tombe à l’eau
De nombreuses scènes sont calquées directement sur le scénario de La piscine, que Guadagnino a pourtant détesté la première fois qu’il l’a visionné, telles que la scène où Harry réécoute avec nostalgie les disques qu’il a produits, celle du dîner au cours duquel Marianne et Harry flirtent et s’impatientent du retour des deux plus jeunes. Il est frustrant de ne pas assister à une initiative libératrice de la part de Guadagnino, qui aurait gagné à adapter davantage son œuvre à la toile de fond qui n’est plus celle de l’élite des années 70. La remise en contexte avorte par une évocation de la situation de réfugiés confinés de façon grotesque au rang de pions malléables encore au mauvais endroit au mauvais moment.
Ce manque d’impunité cinématographique aura eu raison d’un casting pourtant alléchant, constitué de Tilda Swinton (Le monde de Narnia, Ave, César!), Matthias Schoenaerts (De rouille et d’os, Loin de la foule déchaînée), Ralph Fiennes (The Grand Budapest Hotel, 007 Spectre, Skyfall) et Dakota Johnson (50 Nuances de Grey, Cinq ans de réflexion).
L’emblème du grand bassin
François Ozon évoque la désinhibition et l’angoisse que symbolise la piscine dans sa version plus féminine du thriller avec Swimming Pool (2003). Oxymore esthétique chez Deray, le grand bain est à la fois un attribut de séduction et symbole du vice enfoui en chacun des personnages dans cette nouvelle version de l’intrigue. L’allégorie rappelle le tableau de David Hockney, A Bigger Splash (1967), où s’opposent la pureté de l’univers hollywoodien et le vide déclenché par la disparation d’un plongeur dans ce cadre aux allures si parfaites.
Thriller vertigineux à sens unique, A Bigger Splash n’éclabousse finalement d’audace ni le cinéma hollywoodien ni celui de Mamma Roma (Pasolini, 1962). Dommage. Sortie prévue le 20 mai prochain.
Texte révisé par : Annie Simard