Fabulons l’histoire racontée ensemble

Crédit Photo : Martin Postel-Vinay / Mattv
Par : Marin Agnoux
Les bottes boueuses de neige, et l’humeur vaseuse, on passe la porte chaude du Théâtre Beanfield, avec derrière nous les quelques restes d’une tempête d’un mercredi d’hiver montréalais. Dans les premiers froids s’accrochant aux os, All Them Witches trépassent les rideaux du théâtre, le pas lourd, frappant le bois noir de notre scène. Quelques secondes à peine et la senteur du delta blues piétinant la terre embaume la salle. Les regards se fixent, rivés au-dessus des épaules des uns et des autres devant nous.

Voilà Charles Michael Park Jr. La casquette grise tombante, basse à la main, face au micro ; s’ensuit Ben McLeod, sa chemise texane et sa guitare, Allan Van Cleave, les boucles ébouriffées, face au Rhodes rempli de pédales, et Christian Power, torse bombé, s’assoit, pied sur la grosse caisse, à la batterie. Les Nashvilliens de All Them Witches sont tout sauf l’archétype cliché des musiciens bien souvent country qu’on imagine au Tennessee. Le regard nonchalant, Charles et Ben nous observent calmement, la première note est partie, ça ne s’est plus jamais arrêté. Diamond, Enemy Of My Enemy, See You Next Fall…

Les guitares arrachent le parquet juste sous nos pieds, le violon électrique sonne notre mort et la voix thoracique suave sort d’une cage écrasant la foule. L’improvisation psychédélique des Rhodes s’harmonise sur la guitare, donnant l’écho au souffle lancinant. Les voix se laissent disparaître petit à petit derrière les musiciens solistes, chaque corde de guitare a un sens, un son, une onde, de longues lames tranchant les silences tout en jouant avec. Au fond, l’on ne peut l’apercevoir qu’en penchant la tête, Christian baigne sa batterie dans la graisse, la frappe lourde et lente donne l’appui minutieux sur le groove.

Il y a 10 ans, les morceaux When God Comes Back et The Marriage of Coyote Woman se gravaient sur nos disques, mais ce soir la musique plane, elle grave, raclée à la main, les genres se confondant, Le Hard Rock, Le Delta Blues, Psychédélisme et Stoner, sur les murs moulés de la salle. Dans la pénombre, j’imagine, les talons de cuir serrés à la cheville, le sable sec, l’air aride éclairé seulement par les aurores vertes et rouges et un feu de flamme bleue sans fumée s’allongeant sur des mètres de hauteur ; autour, les lumières dansent et la foule aussi. Rares sont les groupes qui marquent au fer rouge les salles qu’ils traversent, mais sur le chemin All Them Witches ne manque pas l’indication. J’en avais oublié le froid et mon jean trempé, on ressort avec peine, non pas à cause des bourrasques de vent enneigé, non, mais plutôt dans l’ennui déjà installé des fabulations glissées dans la salle par toutes les sorcières présentes ce soir-là.
Crédit photos : Martin Postel Vinay / Mattv
























































