Le Déclin de l’empire américain attaque le sens à l’ère du vide
Patrice Dubois et Alain Farah © Jean-François Brière
Par Sébastien Bouthillier
Des hommes et des femmes déblatérant sur la gent de l’autre sexe en son absence. Mais le ton change quand ils se retrouvent en soirée lors d’un souper au chalet sur le bord du lac à Magog. En présence de l’autre groupe, chacun adapte son discours sur l’amour, la sexualité et les relations de couple. Sexe et amour, deux choses que les codes moraux ont souvent confondus et que Le déclin de l’empire américain sépare.
La satire originale de Denys Arcand sur les relations extra-conjugales illustre le déliement politique et social. Le metteur en scène Patrice Dubois a collaboré avec Alain Farah pour en adapter le scénario au théâtre trente ans après sa rédaction. Loin de vouloir transposer le film en pièce, ils ont préféré la dramaturgie aux images en actualisant le propos. « Denys Arcand est reconnu comme étant un grand scénariste », indique Patrice Dubois, soulignant que le scénario original s’avère éloquent par la densité du texte. Ils n’ont même pas visionné le film avant de procéder à l’écriture de la pièce tant il s’agit de deux créations distinctes selon eux.
Ainsi, Claude a capté les ruines fumantes du World Trade Center à l’aube du 12 septembre 2001, ce qui l’a consacré célébrité mondiale. Par ses remarques et son rictus, Dany Boudreault interprète remarquablement l’infatuation de ce photographe parvenu au sommet de sa renommée. Il plaide sa différence, son homosexualité qu’il invoque, pour s’éloigner des préoccupations de ses amis hétérosexuels au sujet de la fidélité qu’exige le couple et de la pérennité de l’amour.
Ce célibataire assumé préfère le sexe sans protection et « les fesses d’un garçon de 12 ans ». Le langage est cru, il décape la pensée publique licite parce que l’action se déroule en privé, les hommes de leur côté et les femmes de l’autre. En focalisant sur les mœurs des personnages, le genre satirique de la pièce permet au public de saisir l’aspect déraisonnable de leurs actes et propos.
© Claude Gagnon
C’est aussi une façon de susciter la critique, ce que ne manque pas Mario, l’amant de Judith, incarné par Alexandre Goyette. Il ne se mêle pas aux autres hommes en attendant celle avec qui il s’adonne à des jeux sexuels dépravés, mais sa colère éclate au souper. Mario s’insurge contre leur discours, il s’attaque à leur appartenance à l’élite en opposant abstraction de leurs idées et réalité des maux à régler. Le discours populiste en vogue émane de sa bouche; Judith admet n’avoir rien en commun avec lui, sauf aimer les sévices qu’il lui inflige.
Le titre de la pièce demeure identique à l’original, mais le déluge emporte le déclin. Marie-Hélène Thibaut énonce la thèse du Déclin version 2017 dès les premières répliques : « après nous le déluge? » Selon Dubois et Farah, l’hypothèse du déclin est insoutenable, car logocentrique. Ce serait affirmer que l’époque actuelle est le seul modèle de référence et que les époques ultérieures régresseront. Le thème biblique du déluge est usité dans la langue profane pour indiquer l’insouciance du lendemain. Puisqu’il est désormais impossible de s’extirper du présent par des thèses normatives pour en extraire du sens plausible, il faudrait se contenter de le décrire.
Avant la sortie du film, Denys Arcand lui a donné Conversations scabreuses pour titre de travail. Si trois décennies se sont écoulées depuis son lancement en 1986, il est encore considéré parmi les films québécois les plus importants, notamment pour les honneurs glanés internationalement. Sa récolte de prix impressionne : 9 Génies, une nomination aux Oscars, meilleur long métrage canadien au TIFF et celui de la critique internationale à Cannes. Que raflera la pièce, jouée à guichet fermé?
Le déclin de l’empire américain, jusqu’au 1er avril à l’Espace Go.
Crédit photo : Jean-François Brière (couverture) et Claude Gagnon
Texte révisé par : Ho-Chi Tsui