Absurde existence
©Yves Renaud
Fort attendue par les amateurs de théâtre, la version 2016 d’En attendant Godot, à l’affiche au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 31 mars, symbolise la seconde union en carrière du duo Benoît Brière/Alexis Martin et le retour du metteur en scène et réalisateur François Girard (les films Le violon rouge, Silk et Boychoir) après la pièce Le Procès d’après Kafka en 2004. Cette production du chef-d’œuvre de Samuel Beckett, grâce à une direction d’acteurs impeccable et une scénographie éblouissante, ramène irrémédiablement et intelligemment à cette triste fatalité : la vie humaine n’est que futilité.
Au pied d’un arbre, deux clochards éclopés qui attendent en vain Godot, personnage ou objet fictif incarnant la promesse d’un meilleur sort, s’interrogent sur le sens de la vie. Alors que Vladimir demeure optimiste, Estragon ne souhaite qu’une corde à laquelle se pendre. Pour lui, l’existence n’est qu’une longue attente dans laquelle l’humain tente désespérément de faire passer le temps. Des êtres comme Pozzo et Lucky, un maitre et son esclave, croisent leur route en n’ayant rien d’autre qu’une distraction artificielle à leur offrir. Les quatre comparses discutent surtout de rien; longtemps et avec un torrent de mots. Pour matérialiser le tout, comme seul et ingénieux décor, un arbre formant un sablier géant qui s’inverse lors du deuxième acte. Cette métaphore incontournable impressionne et est porteuse de profondes réflexions.
©Yves Renaud
Au centre de ces questionnements se trouve le rôle de l’attente. Selon Samuel Beckett, le théâtre n’est qu’attente. Attendre un rebondissement. Attendre d’être touché ou ébranlé. Attendre la tombée du rideau pour applaudir le brio des comédiens. Attendre, attendre et toujours attendre. Pour le célèbre auteur décédé en 1989, Godot représente un personnage ou une chose différente pour chacun, ce qui fait la beauté de ce texte philosophique saisissant. Ce morceau d’anti théâtre, à travers l’humour bougon d’Estragon qui atténue la charge émotive du propos véhiculé, renvoie de manière percutante à la solitude que ressent tout être humain. À un instant ou un autre de notre vie, nous sommes Estragon, Vladimir, Pozzo et Lucky.
Bien évidemment, la pièce comporte des longueurs, inévitables dans les circonstances, mais qui pourraient rebuter certains spectateurs. Pour incarner cette œuvre complexe, il fallait impérativement des artistes expérimentés. François Girard réussit l’exploit de rendre énergique un endroit figé dans le temps. Savamment calculés, les mouvements exécutés par les acteurs hypnotisent. La prestance de Pierre Lebeau attire le respect. Emmanuel Schwartz livre un monologue sensationnel. Sa performance, hautement chorégraphique, prouve son énorme potentiel. Alexis Martin et Benoît Brière partagent une chimie irrésistible. Brière, avec ses expressions faciales tantôt grandioses tantôt subtiles, vole la vedette.
Des billets sont encore disponibles pour voir quatre comédiens au somment de leur art! Bonne attente… euh, bon spectacle!
Crédit photo couverture : Yves Renaud