Une fête rock pour bâtards désespérés
© Stéphane Najman
Propos recueillis par Sébastien Bouthillier
Censuré par Facebook à cause du mot bastards – Le spectacle commence pendant que les spectateurs entrent dans la salle : danseurs et musiciens trinquent la bière avec eux et s’épivardent. Le spectacle recommence sur la musique de Bach lorsque les danseurs s’alignent minutieusement. Mais la guitare électrise bientôt l’ambiance sur scène, où l’absence de coulisses dévoile crûment tout à l’œil.
Quand le silence interrompt brièvement la chorégraphie, les neuf danseurs halètent tant les accapare la musique qui rythme leurs mouvements saccadés. La danse frénétique imaginée par Frédérick Gravel suinte la brutalité, de la confrontation jusqu’aux pulsations, pour mieux illustrer la sensualité écorchée vive par le cynisme.
Some Hope for the Bastards…
Oui, une cérémonie entraînante sur l’impuissance qui rend apathique et agressif. Le show représente un combat à la fois contre soi et le système, car l’art doit servir à faire avancer la société et bouger les choses par la confrontation.
Les bâtards sont-ils aussi parmi le public?
Rassembleurs, pas moralisateurs, nous exposons nos sentiments en espérant que le public se reconnaisse avec nous. J’explore l’impuissance en rebranchant l’humain sur lui-même, tout en découvrant ses zones d’ombre, sans proposer une solution galvanisante ou un programme politique.
Comment devient-on bâtard?
En étant les larbins, les serviteurs, d’un système qu’on dénonce. Accaparés par les besoins pressants de notre quotidien, nous oublions les répercussions sur les enjeux sociaux.
Alors, à quoi applaudissent les spectateurs?
Au plaisir, à l’enthousiasme que provoque la montée d’énergie rythmique dans une œuvre d’art où les danseurs livrent un effort colossal. Le public reconnaît la générosité des interprètes qui traversent l’épreuve physique, musculaire, explosive et la tension sourde du spectacle.
Et à quel espoir penses-tu?
J’espère qu’on se sente responsables pour l’état du monde, qu’on reconnaisse que ça cloche même sans savoir comment agir mieux. L’espoir repose dans l’énergie sourde du spectacle où les bâtards, bouillants de l’intérieur, incarnent le désir de se décroiser les bras. S’ils trouvaient la bonne impulsion, ils modifieraient enfin l’ordre des choses.
Quelle est ta signature?
Mon véritable talent serait de séduire tout en confrontant le public, de le convaincre que c’est rough, mais que ça vaut la peine de faire bouger les choses. Je ne le rassure pas, je lui pose la question sans apporter de réponse! Peu formatée, la danse contemporaine impressionne par les formes qu’elle épouse et l’ouverture d’esprit du spectateur, prêt à faire l’effort d’embarquer.
Confrontation dansée ou rockée, Some Hope for the Bastards?
Danse et musique se soutiennent l’une l’autre dans la chorégraphie du spectacle. J’ai invité neuf danseurs qui amènent la création vers une expression éminemment physique. Philippe Breault a composé la musique avec cette intention.
« Je considère mon travail de chorégraphe comme celui d’un penseur qui aurait décidé de ne pas utiliser le livre comme médium. » Cette affirmation tirée de ton mémoire de maîtrise vaut-elle toujours?
Je dirais un chercheur aujourd’hui : je ne conclus pas, mais je trouve des lignes, des mélodies, des scènes, des images inspirantes pour amener l’esprit plus loin.
Et trouves-tu ce que tu cherches?
Ce que nous trouverons se classera ailleurs que dans le prêt-à-penser parce que l’art s’inscrit en faux face à l’idéologie dominante. Faire de l’art reste éminemment politique parce que c’est faire advenir quelque chose qui se situe hors de la conversation utilitariste ambiante, chose improbable mais pas impossible, pour empoigner le système.
© Volker Derlath
Donc, quel rôle pour l’artiste?
L’actualité en témoigne, nous nous enfargeons dans les questions d’identité, de privilèges, raciales, de valeurs parce que nous ne savons pas en parler. Le seul vocabulaire dont nous disposons ressort du lexique de l’utilitarisme. L’art en propose un autre.
Es-tu désespéré?
Lors de la création du spectacle, je traversais un down et j’ai pensé que mon rôle consistait à donner de l’espoir aux trous de cul dont je suis, mais cet espoir demeure l’élément le moins précis du processus créatif. Some Hope for the Bastards reflète mes sentiments parce que je crée à cause de quelque chose, au lieu de retenir un thème.
Some Hope for the Bastards, à l’Usine C, les 29 et 30 novembre.
Crédits photos : Brianna Lombardo (couverture), Stéphane Najman et Volker Derlath.
Texte révisé par : Johanne Mathieu