Quand la confusion devient jazz-fusion

Par : Bruno Miguel Fernandes
Au départ, je ne pensais pas avoir tant de choses à dire sur le spectacle de Fantastic Negrito dans le cadre du Festival International de Jazz de Montréal. Mais disons que ce fut toute une surprise de vivre une performance aussi électrique, survoltée et théâtrale. En même temps, il fallait s’y attendre de la part d’un artiste ayant remporté trois Grammy pour meilleur album de blues contemporain en 2017, 2019 et 2021. Venez avec moi visiter le monde rugissant et parfois digne d’un fever dream de Fantastic Negrito.
Sur scène, il raconte son histoire, son enfance difficile, sa chute et sa résurgence artistique qu’il qualifie lui-même de renaissance. Le tout est livré avec ce mélange unique de sincérité et d’absurdité qui le rend à la fois divertissant et imprévisible. Il affirme que la musique lui a sauvé la vie, et c’est avec cette intensité singulière qu’il habite chacune de ses chansons.
Quand vérité brute et folie douce se mêlent sur scène

Vêtu d’une cape dorée et d’un chapeau à plumes, Fantastic Negrito livrait sa performance comme un personnage de théâtre : une voix puissante et caméléon, tantôt inspirée du spoken word, tantôt opératique, capable d’élans aussi cohérents que déstabilisants. On ne savait jamais exactement ce qui allait suivre, mais c’est aussi ce qui tenait tout le monde en haleine.
L’auteur-compositeur glisse avec aisance entre blues, funk, rock, soul, R&B et folk, revisitant ses morceaux avec un plaisir évident. Sur Bad Guy Necessity, les couplets laissent place à un récit raconté à sa manière, utilisant sa voix comme outil de ponctuation, d’image et de transfert émotif. Comme dans cette anecdote improbable où, alors qu’il consommait dans son sous-sol, des extraterrestres seraient venus lui transmettre un message de sagesse : « mange moins de sucre et fais plus l’amour ». Impossible d’inventer une telle scène, et pourtant, tout dans son interprétation nous y fait croire, le temps d’un morceau.
Plusieurs de ses chansons étaient interprétées de manière fidèle, comme Chocolate Samurai ou Lost in the Crowd, tandis que d’autres intégraient habilement des clins d’œil à des rythmes ou mélodies emblématiques tirés d’autres morceaux bien connus. Il est même allé jusqu’à reprendre Get on Up de James Brown. À un moment, un invité surprise est monté sur scène pour chanter avec lui. Honnêtement, je n’ai aucune idée de qui c’était… et ce n’est pas Fantastic Negrito qui allait m’aider, se contentant seulement de dire qu’ils s’étaient rencontrés plus tôt dans la journée. Une dualité improbable, mais étonnamment efficace, à l’image du spectacle.
Quand groove, précision et excentricité s’unissent sur scène

Son guitariste, en plus de faire les back-vocals, a offert tout au long du spectacle des mini-solos ou des variations rythmiques bien senties, revenant toujours au bon moment sur le tempo pour maintenir la cohérence mélodique. Une guitare à la sonorité sèche et vibrante, comme une voix funky et sensuelle, qui amplifiait encore davantage l’intensité du chanteur. À ses côtés, la bassiste assurait des lignes plus en retrait mais bien présentes, solides, ancrant le groove sans voler la vedette. Le claviériste, lui, est intervenu à quelques reprises avec des solos plus éclatés. Son instrument avait cette sonorité d’orgue un peu artificielle, très typique du funk, et il savait comment l’utiliser avec justesse, insérant ici et là une ou deux notes bien punchées dans les contretemps.
Fantastic Negrito dégageait parfois une pointe de prétention, comme s’il jouait d’abord pour lui-même. Mais il avait aussi annoncé d’entrée de jeu qu’il suivait ses propres règles, ce qui rendait le tout presque inévitable. Difficile toutefois de lui en tenir rigueur : ses remarques étaient souvent suivies d’un sourire, d’un trait d’autodérision ou d’un fouet musical percutant qui rappelait à tous l’ampleur de son talent et celui de ses musiciens, solides du début à la fin.
Et ça prend toute une audace pour finir le spectacle avec « I love most of you! ». Wow.