La catharsis comme arme dans Antioche
© Marie-Andrée Lemire
Par : Sébastien Bouthillier
Dans leur quête de sens inassouvie, trois femmes se révoltent contre l’inertie, l’indifférence et l’individualisme. L’ordre établi du monde les rebute. « T’es mieux de marcher les fesses serrées pis de te conformer aux règles de la cité sinon, bang, on t’emmure. C’est pas juste », dénonce Antigone, persuadée que « le monde a besoin de filles en crisse. »
De la salle Fred-Barry, cette Antioche de l’auteure Sarah Berthiaume réplique à l’Iliade de Marc Beaupré, jouée simultanément dans la grande salle du Théâtre Denise-Pelletier. En écho aux guerriers, une mère dépressive et sa fille rebelle se retrouvent pour se comprendre; elles que la recherche de signification existentielle – le but de leur vie – éloigne.
La mère et la fille pourraient être le même personnage se télescopant, se projetant dans le temps et qui se croisent, à Antioche, où elles ont toutes deux 16 ans. Dans cette dernière ville de Turquie, ultime rempart de civilisation, à la frontière du monde dont elles dénoncent l’immuabilité et qu’elles aspirent à quitter, chacune fuit vers le point de départ de l’autre. L’effet miroir représente une analogie de la transmission.
Avant leur rencontre, elles habitent sous le même toit à Montréal, mais elles s’ignorent. La mère (Sharon Ibgui) écoute la télévision pendant que sa fille Jade (Mounia Zahzam) navigue sur Facebook. Chacune dresse des listes énumérant ce qui attise leur colère, des petites anicroches quotidiennes aux enjeux de société. Si la mère a immigré pour mener une meilleure vie, la fille émigrera vers le pays qu’a quitté la mère dans l’espoir d’y trouver la vérité.
Sarah Laurendeau incarne la fulgurance d’Antigone, l’amie de Jade entretient l’espoir que ses idéaux vaincront. Elle libère le rire cathartique du public adolescent par la justesse et la sincérité de sa colère. Antigone croyait que sa parole serait entendue grâce à la légitimité de son message qui bouscule les codes en vigueur.
Mais elle est réduite au silence parce qu’elle dérange quand la pièce qu’elle propose est refusée par la troupe scolaire et quand le directeur la sermonne pour avoir chanté Born to Die, inspirée par Justin Parker et Lana Del Rey, au bal des finissants. Elle parle quand sa colère monte, bien qu’on cherche à la réduire au silence, alors que Jade et sa mère se taisent à cause de la colère qui gronde en elles.
Et si, au lieu de fuir pour changer, la révolution commençait par la lecture de classiques? Et si les arguments pour étayer sa colère se trouvaient dans l’élargissement de sa culture générale? Et si l’ouverture au monde passait par le refus de suivre la mode et de consommer comme le dicte la publicité?
Sarah Berthiaume déclare qu’il ne s’agit pas d’une relecture d’Antigone de Sophocle. Tout de même, le personnage Antigone met en parallèle la pièce éponyme tirée du mythe, qui mérite d’être connue pour mieux comprendre et changer le monde d’aujourd’hui. Car cette histoire millénaire demeure brûlante d’actualité : pourquoi obéir à une règle injuste?
Selon la tragédie grecque, Antigone brave l’interdit de Créon en pratiquant le rituel funéraire sur le corps de son frère, estimant son devoir religieux prioritaire et supérieur à l’édit royal. Créon soutient que la loi humaine s’impose, alors qu’Antigone invoque l’éternité des lois divines…
Crédits photos : Marie-Andrée Lemire
Antioche, à la salle Fred-Barry jusqu’au 25 novembre.
Texte révisé par : Johanne Mathieu