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FIJM : un dernier souffle de jazz signé Dhafer Youssef

Une performance envoûtante entre oud, jazz et virtuosité collective

Crédit photo : Kader Bouderbal / Mattv

Par : Bruno Miguel Fernandes

Connaissez-vous le film Soul de Pixar ? Dans ce film, on y aborde le concept de la « zone », cet état suspendu entre concentration totale et abandon euphorique, où le corps joue presque tout seul, guidé par quelque chose de plus grand. Et bien, hier soir au Théâtre Maisonneuve, Dhafer Youssef et ses musiciens n’y ont pas seulement mis un pied : ils s’y sont installés à cinq. Pianiste, bassiste, batteur et trompettiste formaient un collectif soudé, capable d’écouter, de répondre, d’anticiper. Une transe partagée, une sorte de télépathie musicale où chaque note jouée par l’un trouvait immédiatement un écho chez l’autre. C’était beau, c’était puissant, et surtout, c’était très, très jazz.

Et quelle manière de clore le Festival international de Jazz de Montréal : une prestation hypnotisante, aussi raffinée qu’éclatée, entre jazz fusion, envolées orientales et une chimie scénique difficile à inventer. Pour moi, c’était une découverte totale, et quelle découverte!

À l’unisson, même dans l’imprévu

Crédit photo : Kader Bouderbal / Mattv

Le spectacle était construit comme une suite de longs morceaux soigneusement architecturés, chacun prenant le temps de s’installer, de respirer. Le oud de Dhafer  ouvrait souvent le bal, seul ou en dialogue intime avec un autre instrument dans une lente mise en place de la mélodie.

Peu à peu, des notes venaient s’ajouter, comme si les musiciens testaient ensemble la direction à prendre, chaque son accentuant les intonations, les échos, la tension dramatique de l’ensemble. C’était un peu comme si la chanson se dessinait en direct, ligne par ligne, avant de prendre son envol collectif.

Une fois la structure bien en place, chaque musicien trouvait son espace pour proposer une variation, une improvisation, une signature propre, tout en restant profondément connecté à l’intention de départ. Un jazz de construction et de communion, où l’individuel et le collectif s’élèvent ensemble. Où chacun des musiciens semblait aussi engagé à soutenir ses collègues qu’à briller individuellement.

Même si certaines sections du concert étaient plus atmosphériques, particulièrement lorsque Dhafer  installait doucement la mélodie qui allait porter le morceau à venir, il ne fallait jamais se laisser bercer trop longtemps.

Une fois la base posée, le groupe plongeait tête première dans des portions plus libres, plus jam, où l’improvisation devenait reine. Et c’est là que l’énergie explosait. Il y avait toujours ce petit moment de bascule, ce point cathartique où la retenue cédait la place à la fougue. Et quand ça décollait, c’était aussi frénétique que maîtrisé : chaque musicien trouvait sa place dans le tourbillon, sans jamais perdre de vue l’élan collectif. 

À l’écoute l’un de l’autre, au souffle près

Crédit photo : Kader Bouderbal / Mattv

Parmi les moments les plus impressionnants de la soirée, il y avait cette alchimie presque magique entre Dhafer  et le trompettiste. À plusieurs reprises, après avoir lancé une note aiguë, puissante et presque suspendue dans le vide, Youssef voyait la trompette le rejoindre exactement sur cette même fréquence, comme si les deux instruments s’étaient donné rendez-vous à l’avance.

C’était d’une précision désarmante, mais surtout d’une beauté ambiante qui enveloppait tout le reste de la composition. Ces notes communes créaient des harmonies flottantes, presque irréelles, qui venaient ajouter un souffle de texture à des morceaux déjà chargés d’émotion. 

Entre deux envolées musicales, Dhafer a aussi pris soin de s’adresser à la foule avec chaleur et humour. Avec une attitude à la fois pince-sans-rire et profondément humaine, il a présenté chacun de ses musiciens avec affection et humour. Il partageait des anecdotes, des souvenirs, des clins d’œil, renforçant le lien avec le public. C’était simple, sincère, et à l’image du spectacle : généreux.

Très généreux, en fait, plus de deux heures de musique portée par un talent hors norme, et surtout, par une sensibilité palpable. À plusieurs reprises, Youssef a partagé son amour profond pour la musique, la qualifiant de bien universel, d’outil de paix, et de langage qui appartient à l’humanité tout entière.  

Difficile d’imaginer meilleure façon de conclure une édition aussi riche du FIJM. Dhafer Youssef et ses musiciens l’ont fait avec brio, livrant un moment à la fois intense, délicat et profondément jazz. Une soirée où l’improvisation brillait sans jamais brouiller le propos, où la virtuosité servait toujours l’émotion. Pour moi, c’était une découverte. Pour Montréal, c’était une finale digne de ce nom. Une dernière plongée dans la «zone»… avant de revenir doucement sur terre. 

Crédit photos : Kader Bouderbal / Mattv