Jésus est fou, mais cette pièce est un prodigieux récital
© Maxime Robert-Lachaine
Par : Sébastien Bouthillier
Suicidaire, Jésus est fou. La déchéance de l’humanité l’a incité à percuter un muret de béton au volant de son automobile. Golgotha Picnic s’étire durant 1 h 50, le temps de son agonie dans les bras de trois anges noirs. L’inconfort du spectateur devient palpable devant ce spectacle morbide qu’apaise au piano le virtuose David Jalbert.
Et si la folie de Jésus renvoyait à sa lucidité, mais aussi à son impuissance dans le monde utilitariste d’aujourd’hui? La pièce emprunterait alors un tournant provocateur. Jésus marche sur les ordures, plutôt que sur la mer, dès son entrée en scène. Les chips dont il s’empiffre se substituent à l’hostie sacrée. Sa fierté incite à penser que les anges flattent son ego, mais ils médisent sur son compte.
Aucune abnégation de soi, le Jésus de Rodrigo García s’en trouve dépourvu. Pour cet auteur, Jésus est imbu de lui-même, il se joue du Christ en empruntant ses poses en croix. Les références à l’iconographie sainte s’avèreraient idoines si notre Jésus du vingt-et-unième siècle s’abstenait de les blasphémer. En effet, au lieu d’expier, notre mourant caricature le Christ comme un influenceur, multiplie ses égoportraits sur le net pour accumuler les « J’aime » à son applaudimètre.
Mais si Jésus succombait pieusement à son suicide, la pièce n’existerait pas. La metteure en scène Angela Konrad a imaginé un excellent MacBeth ainsi qu’un sublime Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me. Golgotha Picnic pénètre moins l’âme, il demeure aux contours malgré la profondeur du thème et la portée décapante de la critique que livre l’auteur : moins une remise en cause de la religion qu’un recours à la religion pour s’approcher de la société de consommation.
Bref, tout cela pour dénoncer que l’alimentation biologique ait été récupérée par les consommateurs de masse ou qu’en période électorale, Jésus passerait pour le gourou d’une secte de douze apôtres et qu’il n’obtiendrait même pas un entrefilet dans le journal.
Le jeu physique auquel se livre Samuel Côté en linceul noir dans le rôle de Jésus mérite mention. Dominique Quesnel excelle en ange noir aux côtés de Sylvie Drapeau et Lise Roy.
Les sept dernières paroles du Chirst de Haydn qu’interprète David Jalbert, l’un des meilleurs pianistes du Canada, réconcilie le public avec l’existence. Il faut voir la pièce, mais l’écouter comme un récital méditatif, immunisant contre les insignifiances qui nous imbibent l’esprit. « Je ne vous dis pas : sautez par une fenêtre. Je vous dis : sautez à l’intérieur de vous-même; jouissez de la chute, ne laissez personne vous déranger », nous invite l’auteur argentin de la pièce.
Golgotha Picnic, à l’Usine C jusqu’au 29 septembre.
Texte révisé par : Annie Simard