Paradis fiscaux : une absurdité théâtrale qui se danse à deux dans Hidden Paradise
Par : Annie Dubé
Voilà une occasion en or (massif) à ne pas rater si, comme plusieurs, vous avez manqué depuis sa création la pièce Hidden Paradise, co-mise en scène pas la comédienne Alix Dufresne et son complice Marc Béland. De retour sur les planches montréalaises après une escapade européenne, ce spectacle hors du commun est à voir, mettant en vedette la prometteuse Dufresne et son nouveau partenaire de jeu, l’impressionnant comédien et danseur Frédéric Boivin, qui prend la relève de Béland pour ces représentations nouvelles qui ont lieu présentement au Théâtre Prospero.
Cette oeuvre vivante qui ne cesse de se réinventer à partir de notre apathie collective est à voir. Inspirée par une (en appararence banale) entrevue menée par l’animatrice Marie-France Bazzo sur les ondes de Radio-Canada en février 2015, en compagnie de son invité, l’économiste Alain Deneault, cette performance se situe intangiblement quelque part entre le documentaire et le surréalisme de cirque.
Comment quelques minutes d’entrevue au sujet des paradis fiscaux peuvent-elles intéresser monsieur et madame Tout-le-Monde, vous demanderez-vous? Eh bien la réponse est très simple : en nous plongeant dedans en boucle, tel un cercle, tant vicieux que vertueux.
Des artistes épatants
Alix Dufresne et Frédéric Boivin offrent une performance physique et artistique déroutante, au grand bonheur du public curieux. Chaque son, chaque muscle, chaque centimètre de la scène prend une perspective nouvelle dans un monde pourtant si blasant. Une bouffée de fraîcheur en pleine canicule de septembre, rien de moins. Quelque part d’inclassable entre le théâtre, la danse, l’art du clown et le mixage sonore, on nage dans un océan de possibles en passant du fou rire à la révolte.
Cette création profondément politique contre l’indifférence, qui met en forme le sentiment d’impuissance de tout un chacun face à un système presque invisible qui les dépasse, se déroule tout au long comme un rouleau compresseur sur ses pantins involontaires.
Sortir du cadre de l’indifférence et de la surdité
Clownerie et colère horrifiante dansent main dans la main vers ce catalyseur de surdité speedé sur l’amplificateur sonore. Des interprètes plus que doués, qui osent l’inconfort et poussent l’absurde à son comble, jusqu’à la déformation des dénis de société auxquels on s’habitue mollement. Voici un relent de théâtre québécois bien vivant, jusqu’à l’usure de sa corde, qui nous touche jusqu’à la moelle osseuse et ressuscite les morts-vivants que nous sommes et qui nous met franchement de bonne humeur malgré le cynisme ambiant.
Comment décrire l’indescriptible, si ce n’est que de dire la complexité de cette étude des formes et des formules déconstruites en une répétition mutante?
On sort de là enthousiasmés par cette révolte de l’ordinaire, en se demandant combien d’autres moments de radio pourraient être étudiés sous le corps scalpel de l’art. C’est ainsi que naît la conscience de notre inconscience collective et de nos jeux de rôles incognitos. Réponse : beaucoup.
Jusqu’au 16 septembre 2023 au Prospero. Pour les billets, c’est par ici.
Une création d’Alix Dufresne
Idéation et mise en scène
Marc Béland, Alix Dufresne
Direction artistique
Marc Béland
Avec
Frédéric Boivin, Alix Dufresne
Scénographie et costumes
Odile Gamache
Lumière
Cédric Delorme-Bouchard
Conception sonore
Larsen Lupin
Dramaturgie
Andréane Roy
Regard artistique
Sophie Corriveau
Direction technique
Ariane Roy
Production déléguée
DLD – Daniel Léveillé Danse
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