Frais et franc… la plupart du temps!
Par : Marie-Claude Lessard
Gravitant autour du thème inépuisable de l’amitié homme/femme se transformant inéluctablement en un amour passionnel et indestructible, l’oeuvre du Français Laurent Ruquier, Je préfère qu’on reste amis, écrite pour son amie Michèle Bernier, suit le parcours d’apparence ordinaire des meilleurs amis Claudine et Jean-Dimitri (Geneviève Schmidt et Patrick Hivon). Depuis cinq ans, au moins une fois par semaine, autour de bonnes bouteilles de vin, Claudine parle nonchalamment de ses journées banales en tant que fleuriste et écoute Jean-Dimitri raconter ses aventures sexuelles débridées, masquant de plus en plus difficilement son désir d’être la vedette féminine de ces nuits torrides. Déterminée à dévoiler ses sentiments amoureux, elle organise une soirée à l’atmosphère romantique dans sa boutique. Bien évidemment, rien ne se déroulera comme prévu, au grand plaisir des spectateurs, et ce, malgré une entrée en matière clichée digne d’un théâtre d’été bon marché refusant de faire preuve d’un minimum d’évolution.
Effectivement, les décors résolument et volontairement cheaps et kitsch, les monologues trop explicatifs, les sérénades de vieux tubes français et québécois (très bien interprétées, toutefois), les malentendus prévisibles et les blagues désuètes sur le beau tombeur et la fille dodue mais attachante laissent présager une proposition sans artifice qui n’administre aucune saveur moderne et réaliste à un sujet éculé. Or, Ruquier, Filliatrault et le duo d’acteurs manipulent délicieusement les spectateurs en jouant et en s’amusant avec les préjugés et stéréotypes qu’ils peuvent fort probablement entretenir, se servant d’eux pour les transporter dans des réflexions plus profondes. Lorsque les vérités éclatent au grand jour, les répliques gagnent en intensité et en mordant, enchaînant l’hilarité. Abordées avec finesse et une honnêteté directe farouchement séduisante, les révélations, relevant presque du burlesque, captivent et offre des avenues sortant des sentiers battus. Au fur et à mesure que l’oeuvre se dévoile, le public, à la fois détendu et songeur, prend conscience que la pièce risque de ne pas livrer l’habituelle finale mièvre. Certains accueilleront cette variante à bras ouverts alors que d’autres espéreront la facilité jusqu’à la toute fin. Disons simplement que la conclusion ne s’inscrit qu’à moitié dans l’audacieuse et rafraîchissante continuité mise de l’avant… ce qui est quelque peu dommage.
Pour sa 55ième mise en scène en carrière, Denise Filiatrault opte pour des déplacements remarquablement fluides et naturels. Les mouvements des acteurs coulent comme de l’eau de source, en parfaite harmonie avec le texte. Les modifications géographiques apportées dans la traduction permettent aux spectateurs de mieux s’identifier aux personnages. La mécanique du duo charme même si elle a souvent recours à des gags sexistes et machos pour alimenter les réactions vives, spécialement chez la gente féminine. C’est lorsqu’ils se confrontent que Geneviève Schmidt et Patrick Hivon affichent une complicité époustouflante. Par contre, force est de constater que Schmidt vole la vedette. Elle possède un sens du timing hors pair, déclenchant des fous rires chaque fois qu’elle déclare une réplique d’une voix aiguë et d’un ton fâché. L’actrice d’Unité 9 cerne à merveille les frustrations que ressent Claudine à propos de son physique, de son manque d’estime en elle-même et le fait d’être souvent l’amie et rarement l’amoureuse. De son côté, Patrick Hivon semble plus ou moins à l’aise dans le rôle de l’infatigable séducteur, surtout dans les scènes dans lesquelles il doit se montrer vantard. Par contre, il incarne avec sensibilité les zones d’ombre de Jean-Dimitri.
Bref, la saison 2015/2016 du Théâtre du Rideau Vert se clôt sous le signe de la légèreté avec cette comédie certes conventionnelle, mais qui dissimule toutefois habilement des rebondissements surprenants et des dialogues consistants.
Texte révisé par : Matthy Laroche