Superbe fiction avec une touche fantasmagorique
Par : Marie-Christine Jeanty
Kanaval (Carnaval en créole haïtien) est le premier long métrage de fiction d‘Henri Pardo à qui l’on doit le documentaire Dear Jackie lettre visuelle à Jackie Robinson et la série documentaire Afro-Canada. À travers ce film (qu’il a également scénarisé), Henri Pardo nous raconte une histoire qui aurait été celle de tant de gens de la communauté haïtienne. Je le paraphrase ici, c’est l’histoire de notre déracinement d’Haïti. C’est l’histoire d’une communauté condamnée à « réussir » son intégration dans un pays d’accueil. Une exigeante intégration qui, malgré tout, a su insuffler de la beauté au mouvement, de la culture à l’imaginaire et un intellect merveilleux aux territoires qu’il parcourt.
Kanaval se passe donc au milieu des années 70, où Rico, jeune haïtien de 9 ans est brutalement arraché à sa terre natale pour être propulsé en compagnie d’Erzulie, sa mère, sur une étrange planète baptisée Canada. Depuis leur arrivée, une distance semble s’être installée entre eux. Pour regagner l’amour de sa maman, Rico devra appréhender ce Nouveau Monde peuplé d’individus aux us et coutumes étranges. Pour y arriver, il sera épaulé par Kana, son ami imaginaire tout droit venu de la mythologie haïtienne.
À travers le regard nouveau de Rico, joué brillamment par Rayan Dieudonné (un enfant du Chemin Roxham), on redécouvre ce Québec terre d’accueil. Rico découvre l’immensité de ce territoire nouveau, sa beauté mais aussi son amertume, et ce, malgré l’amour que lui portent ses autres parents campés respectivement par Martin Dubreuil et Claire Jacques. À travers toute cette adoption, il devra trouver une façon de reconnecter avec sa Mammy d’amour, meurtrie par son expérience douloureuse. On retrouve Penande Estimé (vous avez pu la voir dans Après le Déluge de Mara Joly) dans le rôle d’Erzulie, cette femme qui tente de se reconstruire et de continuer la lutte pour les siens, surtout pour son fils.
Les premières images du film dont la direction photo est sublime, débutent en plein Carnaval de Jacmel en 1975 sous la dictature de Duvalier. Un soir tout bascule et rapidement Rico et Erzulie se retrouvent dans un Québec profond et enneigé où ils doivent tenter de vivre à nouveau, loin de leurs repères, à l’instar de tant d’autres comme les miens. Je réalise en écrivant ces lignes que l’an prochain, cela fera déjà 60 ans que ma mère aura posé ses valises, malgré elle, au Québec. Peut-être est-ce pour ça que ce film m’a tant émue, est-ce à cause de ma collaboration avec l’équipe autour d’Afro-Canada? Peu importe, il vous touchera, aussi, j’en suis persuadée.
Kanaval ne cherche pas à donner des réponses, mais éclaire sur tous ces parcours migratoires non linéaires et les deuils ainsi que les nouveaux départs qui les accompagnent. Le film explore bien sûr les thématiques de l’immigration et de l’accueil, mais aussi ceux de la famille, de la mythologie et de l’identité. Le jeune Rico grâce à l’imaginaire culturel haïtien passera à travers toutes ces rencontres humaines parfois très laides mais aussi très magiques. Les relations humaines dans ce film sont profondes et mouvantes, c’est une de ses grandes forces selon moi. Avec ce film, Henri Pardo ajoute de la pluralité aux récits présentés, et j’espère qu’il en inspirera d’autres à suivre.
Depuis sa première au prestigieux Festival de Toronto (prix Amplify Voices du meilleur film et mention honorable du jury du meilleur film canadien) et ensuite à Cinémania (Prix du Public et mention pour Rayan Dieudonné) en sol québécois, le film récolte les accolades et les prix. Il est maintenant en nomination dans quatre catégories aux Prix Écrans Canadiens : Meilleure réalisation, Meilleure interprétation premier rôle dramatique (Rayan Dieudonné), Meilleure interprétation rôle de soutien (Martin Dubreuil ) et Prix John-Dunning pour le premier long métrage).
Kanaval sera présenté en première montréalaise le 25 avril, et en salle dès le 3 mai!