Un puissant solo qui ne laisse pas indifférent
Par : Marie-Christine Jeanty
King Dave, la petite histoire : la pièce avait été présentée à guichets fermés à La Licorne en 2005 et a valu à Alexandre Goyette le Masque du texte original et celui de l’interprétation masculine. Elle fut également l’objet d’une adaptation cinématographique réalisée par Podz en 2016.
Bien qu’il soit toujours aussi pertinent et actuel, le texte a été entièrement réécrit par son auteur, Alexandre Goyette, en collaboration avec Anglesh Major (qui lui a valu un Prix Médias Dynastie en 2022). Cette nouvelle mouture de l’œuvre s’en trouve enrichie, notamment de questions liées à l’identité et à l’appartenance, et les manifestations mondiales dénonçant le racisme systémique l’éclairent d’un angle neuf. Ce solo percutant expose dans une langue puissante et crue une réalité peu portée au théâtre : celle des rues sombres de Montréal, des quartiers populaires, de la délinquance ordinaire.
J’ai vu, il y a quelques années, la pièce d’Alexandre Goyette. J’ai également visionné le film de Podz et j’avais très hâte de voir Anglesh Major sur scène, mais la vie en a décidé autrement. Finalement, j’aurai eu la chance de voir Patrick Emmanuel Abellard deux fois plutôt qu’une nous livrer ce puissant solo. La première, c’était au creux de l’hiver à Montréal-Nord, où la tournée s’était transportée. Symboliquement, c’était intéressant qu’elle y soit présentée, car la nouvelle mouture du texte met en lumière la réalité de bien des jeunes hommes noirs du nord-est de Montréal. De la voir à nouveau Chez Duceppe, la reprise était chargée symboliquement aussi, car cette pièce aura permis à deux comédiens noirs, d’origine haïtienne, d’être seuls sur scène au cœur d’une institution culturelle québécoise. Nous avançons même si on en a pas toujours l’impression.
Revenons donc à King Dave. Cette pièce, c’est l’histoire de Dave, un jeune homme qui porte en lui une jeunesse naïve, mal encadrée, incomprise et blessée. Il se prend le bras dans l’engrenage de la violence, il finit par faire une série de mauvais choix et on assiste à sa chute libre. On le regarde descendre dans son propre enfer, c’est une dérape.
Dans un décor dépouillé et bien éclairé par la lumière de Renaud Pettigrew, la mise en scène sobre de Christian Fortin donne toute la place à l’acteur et à son puissant monologue. La musique de Jenny Salgado ajoute un environnement sonore qui colle à l’univers du personnage.
Patrick Emmanuel Abellard apporte une dimension très intérieure, près des émotions du personnage. Il amène le public à être bienveillant envers Dave, à ne pas le juger et, j’espère ultimement, à faire plus pour les Dave de ce monde. Lorsque Dave se met au piano pour évoquer ses souvenirs d’enfance, lorsqu’il parle en créole à sa mère, veuve qui rêve encore du meilleur pour son enfant qu’elle ne voit pas grandir, encore moins déraper (à l’instar de nombreux parents), la lumière jaillit dans ce sombre spectacle et ça nous émeut.
Au fond, on comprend mieux au fil de cette 1 h 40 que la raison pour laquelle ils sont autant à s’enfoncer, vient du manque d’opportunités au sein de cette société qui se dit si inclusive. Cette reprise a permis de diversifier les voix et, ça, je l’espère, nous amènera à continuer à grandir comme société.
Voyez King Dave jusqu’au 22 juin Chez Duceppe.
Texte révisé par : Johanne Mathieu