Un retour aux heures sombres de l’Histoire pour une étincelle d’espoir.
Par : Cyriel Truchi-Tardivel
C’est à la Place des Arts que le magnifique trio Julien Bilodeau (compositeur de talent et lauréat de plusieurs prix), Michel Marc Bouchard (librettiste, dramaturge et scénariste de grande renommée) et Florent Siaud (metteur en scène passionné), offre au public québécois une œuvre originale « La Beauté du Monde ». Un opéra en 3 actes, en français et allemand, reprenant l’histoire de ces personnes qui se sont révoltées contre le régime nazi.
Photo officielle – crédit Vivien Gaumand
Nous sommes en 1939, Paris est sous les bombes, les Allemands sont aux portes de la capitale. Le directeur du Louvres, Jacques Jaujard craint pour les trésors inestimables de son musée. Ne pouvant laisser ces chefs d’œuvres tomber aux mains des Allemands ou être détruits, Jaujard, accompagné d’une équipe de résistant.e.s, décident de risquer l’impossible pour sauver les précieuses œuvres d’art. L’histoire vrai de personnes qui, sans le vouloir, ont marquées l’Histoire.
La reconstitution est impeccable. Les costumes sont magnifiques (il faut dire que Hitler avait le sens du paraître et fit signer les uniformes militaires du Reich (SA & SS) par Hugo Boss). La scénographie épurée, grande et architecturale, permet de se déplacer dans l’espace-temps. Tantôt dans l’atelier du peintre Matisse, ensuite au Louvre, on se retrouve au musée du Jeu de Paume, puis dans les cabarets jazz parisiens, et enfin sur le quai d’une gare. Le magnifique jeu des lumières sublime tous les tableaux et apporte l’ambiance si particulière à chaque endroit.
La mise en scène est intelligente, simple et efficace. Les tableaux de groupe sont d’une grande beauté et évoquent, eux-mêmes, une grande peinture. Il eut été parfait que les chorégraphies et déplacements de groupe (les modèles ainsi que tous les déplacements militaires), soient ajuster au millimètre près, tel du papier à musique.
Les jeux d’interprétations
L’interprétation des artistes sur scène est juste. Saluons plusieurs prestations vraiment sublimes: Allyson McHardy dans le personnage de Rose Valland, une voix & un jeu d’actrice parfaits en tout point; John Brancy (Franz Wolff-Metternich) convainquant dans le rôle du SS amoureux des arts et qui se retourne contre le Führer; Layla Claire flamboyante dans le rôle de Jeanne Boitel (elle rayonne et capte toute la lumière de la scène). Deux artistes se détachent particulièrement par leur jeu et leur présence : Emile Schneider dans le rôle du jeune homme autiste Jacob et Matthew Dalen époustouflant incarnant le monstre proche d’Hitler Hermann Göring!
Le chœur de femme est également sublime. Leurs voix s’élèvent telles des chœurs religieux, éthérées et célestes, remplis d’espoir et de lumière.
Opéra en 3 actes, la première partie est longue et linéaire. Toute l’intrigue et les personnages se réveillent à la reprise, et les 2 parties restantes sont flamboyantes, intenses et passent en un éclair. Le livret est intelligent et fourni.
Le fil rouge se fait sur le tableau d’« Une femme assise » d’Henri Matisse, retrouvé seulement en 2012 après avoir été volé par les nazis à la famille Rosenberg. De très nombreuses mentions y sont glissées pour les inité.e.s. Notamment la quête du Graal par Adolf Hitler qui, étant mystique, cherchait à percer de nombreux mystères.
Tous les grands peintres et sculpteurs évoqués tout au long de l’œuvre; les, au combien, nombreux autodafés qui ont été perpétrés par l’Allemagne nazi; l’eugénisme si cher à Hitler et ses partisans, … Le souci de retransmettre la réalité est essentielle dans cette création, et le défi est relevé.
Il est étonnant qu’un tel sujet est été choisi pour le nouvel opéra présenté à la Place des Arts par cette équipe québécoise. Le peuple québécois n’ayant pas vécu directement l’invasion française par les Allemands, peut avoir du mal à connecter avec l’histoire racontée.
C’est en écoutant attentivement les paroles du livret que l’on décèle pourquoi, aujourd’hui, il est encore indispensable de traiter de tel sujet. Au travers du récit de ce moment de l’Histoire, les artistes font écho à notre quotidien. L’Art n’est pas important, l’Art est vital!
Deux années d’arrêt de l’industrie du spectacle et des loisirs (aussi simple et innocent que de visiter une exposition au musée), ont permis de faire la lumière sur le besoin humain de cette élévation de l’esprit. Nous avons besoin de cette bouffée d’air que nous apporte l’Art. L’Art est le reflet de l’humanité, sans lui comment prendre du recul sur ce que nous vivons et en faire l’analyse?
Aujourd’hui encore des œuvres sont détruites au nom de fanatiques religieux ou de contestataires qui veulent assoir leur vision du monde. Pourtant l’Art est aussi multiple que les êtres, c’est également en cela toute sa beauté. Certes, la statue chryséléphantine de Zeus à Olympie, en Élide (Grèce), les bouddhas de Bâmiyân, la bibliothèque d’Alexandrie, et toutes ces merveilles à jamais détruites ne seront jamais reconstruites. Mais que cela nous serve de leçon. Soyons conscient de leur beauté, de leur nécessité, de leur fragilité et de l’importance de les préserver. « À quoi bon rester en vie si l’Art disparaît ».
Vous pourriez être intéressé par ces articles :
Albertine en cinq temps – L’opéra: une powerhouse féministe
L’opéra Yourcenar : une île de passions d’une pertinence contemporaine