La mouette au Prospero : Anton Tchekhov version sucrée-salée
Par : Annie Dubé
Si vous êtes à la recherche d’un agréable séjour bucolique en plein cœur d’une tragédie, je ne peux que vous recommander ma récente expérience de La Mouette d’Anton Tchekhov qui commençait cette semaine au théâtre Prospero de Montréal. Le texte, adapté à la manière québécoise contemporaine par Guillaume Corbeil, se transforme en un voyage aux airs de fête foraine et gagne en couleurs et en confettis, grâce à la touche de la metteuse en scène Catherine Vidal.
C’est en faisant un face-à-face dans l’entrée du théâtre avec Macha Limonchik, tout sourire, que débutait l’aventure vers ce spectacle. Le public est alors convié à faire son tour sur une passerelle en hauteur pour se rendre sur scène, où les quidams et les acteurs maquillés échangent des billets contre de la barbe à papa ou du maïs soufflé, avec au sol des coussins accueillants et des chaises de soleil, puis une bonne humeur générale, comme on en voit peu souvent en 2024 dans l’espace commun.
Rire du malheur des artistes, pour le bonheur et pour le pire!
C’est quelque part entre la gêne et la joie que nous faisons un avec le décor ludique et coloré par des retailles qui rappellent les pompons des meneuses de claque. Ou est-ce une sorte de paysage impressionniste de campagne? Nous sommes dès le départ plongés entre le réel et le rêve du théâtre.
Alors que je n’avais jamais eu la chance de voir cette pièce notoire de l’auteur russe, on échange le ton austère de nos préjugés envers ce drame absurde et on passe une soirée des plus agréables, à sourire et à rigoler avec les comédiens qui semblent nous inclure dans leur bulle.
Puis, sans trop s’en rendre compte, on met l’orteil, puis la jambe, dans le drame. On suit le parcours d’une petite communauté dans une région hors de la ville au bord d’un lac. Parmi eux, des artistes, un prof chialeux et ennuyant tout de même si gentil, une jeune ingénue qui rêve de liberté vers son désir d’être comédienne, d’un jeune auteur torturé et d’un autre bien établi qui viendra voir sa pièce.
Le personnage du médecin épicurien du village semble le plus ouvert face à ce désir d’avant-garde dans un monde de traditions. Une jeune alcoolique aux amours déçus et sa mère qui pleure une vie en apparence décevante. Quelque part entre la vie et la mort, passe une mouette. Elle finira empaillée.
Ce regard frais sur l’œuvre de Tchekhov vous fera découvrir une bande de comédiens doués qui s’amusent sur scène, et viendra le moment où vous vous souviendrez qu’il s’agit bien d’un drame sociétal et personnel.
Entre les égos menacés, les parures (magnifiquement ridicules à l’occasion) et les espoirs des jeunes et des moins jeunes, c’est une trempette dans le lac de la vie qui vous attend, à travers cette épopée résolument russe malgré ses accents et ses parlures d’ici, maintenant.
Un bonheur parmi les malheurs du monde, à voir.
La pièce est présentée jusqu’au 30 mars 2024. Pour vous procurer des places, visitez le site web du Prospero.
Texte : Anton Tchekhov
Adaptation : Guillaume Corbeil
Mise en scène : Catherine Vidal
Avec : Simon Beaulé-Bulman, Nathalie Claude, Frédéric Desager, Renaud Lacelle-Bourdon, Macha Limonchik, Igor Ovadis, Olivia Palacci, Daniel Parent, Madelaine Sarr, Mattis Savard-Verhoeven
Crédit de couverture : Maxim Paré Fortin