Hommage musical à un important homme de lettres québécois
© John Londono
Steve Veilleux lançait mardi soir au Cabaret Lion d’or T’en souviens-tu encore, Godin?, un album mettant en musique la poésie de l’homme de lettres et politicien québécois, Gérald Godin. Coréalisé par Veilleux lui-même ainsi que Davy Gallant, cet album est le second aparté musical que l’artiste se permet hors du groupe Kaïn.
Les fans du populaire groupe ne seront certainement pas déroutés par ce tournant, car on y retrouve encore la fougue mélodique folk de Veilleux. Cette fois-ci, toutefois, on le retrouve plus engagé, plus à gauche, encouragé par les textes autant percutants que vulnérables de Godin.
Projet ambitieux et engagé
Alors que Kaïn prenait une pause, Veilleux voulait réaliser un court métrage sur la classe ouvrière, milieu dans lequel il a grandi. « J’avais envie de donner une voix aux travailleurs, des gens comme mon père, par exemple, qui ont trimé dur et qui sont souvent snobbés par l’élite. Moi, j’ai été là-dedans, j’en ai retiré des valeurs comme l’acharnement, l’entêtement et la fierté du travail bien fait. Si je réussis à vivre de ma passion, c’est bien grâce à ces valeurs que l’on m’a inculquées.»
Il entre alors en contact avec Grégoire Bédard, professeur en cinéma du Collège de Drummondville afin de lui demander des conseils. Une fois mis au parfum du projet que tramait Veilleux, Bédard l’a pratiquement sommé de lire Godin en lui remettant le recueil Ils ne demandaient qu’à brûler.
Les premières lignes qu’il va découvrir auront l’effet d’un joli coup au plexus : « Vivant, on m‘oubliera. Mort, on me pleurera ». Steve découvre alors « un homme aussi vulnérable que fort en gueule, porte-étendard de la classe ouvrière, reconnu pour son franc-parler et fier de sa culture québécoise. »
Si Veilleux a fait la « rencontre » de Godin il y a de cela deux ans, c’est lors de la dernière année qu’il aura vraiment mis ce projet en branle. « À un moment donné, j’ai cessé d’être intimidé par l’idée de remettre ces poèmes en chanson, car ça me parlait trop, » avoua-t-il.
Le chanteur ne voulait pas non plus faire de la poésie récitée habillée d’une trame musicale. Avec des arrangements musicaux et des mélodies accessibles, il voulait humblement, ouvrir la portée de ces textes à une nouvelle génération qui ne les connaissent pas nécessairement.
Avec la bénédiction des éditions L’Hexagone et de la succession de Gérald Godin, il a œuvré à habiller musicalement les textes déjà percussifs du poète. Le but était de mettre à l’avant-plan les mots, les thèmes, la direction et la quête de Godin.
Il a d’ailleurs fait appel à quelques reprises aux conseils de Pascale Galipeau, la fille de Pauline Julien, la compagne de vie de Gérald Godin afin d’être certain de bien saisir le sens de chacun des textes.
En collaboration avec Davy Gallant, Steve a laissé la poésie dicter les arrangements musicaux. « Ce sont des textes très rythmés, indique Veilleux. Godin étant un poète de l’oral, c’est très coloré puis tellement improbable. Il pouvait partir d’une métaphore, de belles images et tout à coup, il y lance un joual vert de tab****k qui rentre au poste. Cette « couleur » de langage avait fait de Godin, un mouton noir dans l’élite littéraire de l’époque parce qu’il utilisait les mauvais mots pour brasser le guêpier. »
Veilleux et Gallant entrent en studio pendant l’automne. Douze titres seront enregistrés dont l’incontournable Cantouque des hypothéqués, évoquant « ceux qui laissent leurs poumons dans les moulins de coton », Libertés surveillés, inspirés de la vague d’arrestations arbitraires d’octobre 70 dont Gérald et sa conjointe Pauline Julien ont été victimes.
Il y a aussi Tango de Montréal, dont le texte orne le mur de la place Gérald-Godin, à la station Mont-Royal. Et pour terminer le tout, il y a bien sûr T’en souviens-tu, Godin? poème écrit en 1976 après l’élection de Godin comme député du Parti Québécois.
Sortir de sa zone de confort
Cet ambitieux projet ne l’amène peut-être pas à des milliers d’années-lumière de ce qu’il nous proposait avec Kaïn, mais T’en souviens-tu, Godin le situe décidément plus vers la gauche : « J’ai toujours eu cette allégeance en moi que je n’avais pas nécessairement eu l’occasion d’exprimer avec Kaïn. C’est un groupe festif, rassembleur, pour propager la fête. C’est correct, mais je voulais tenir un autre propos.»
Il souligne d’ailleurs le fait que Godin était le premier à encourager les artistes à prendre position : « Il invitait les auteurs-compositeurs à ne pas seulement se morfondre dans des histoires d’amour. Il fallait également profiter de son pouvoir de parole pour participer à une révolution verbale. » Veilleux souligne d’ailleurs l’intemporalité des mots de Godin : « Des textes écrits dans les années 60, 70, résonnent toujours tout autant de nos jours. Je me sens encore très concerné. »
Cet album marque un moment important pour Veilleux : « Ce projet m’a beaucoup secoué et c’est décidément un tournant pour moi, pour la suite des choses, pour l’écriture qui va s’ensuivre, la musicalité et tout le reste. »
Si l’idée de réaliser un documentaire plane encore dans les airs, Steve Veilleux se concentrera toutefois pour les prochains mois sur une série de spectacles pour faire la promotion de T’en souviens-tu encore, Godin? Le premier étant à Sorel le 21 avril prochain. Et bien sûr, Kaïn est peut-être en pause, mais le groupe existe toujours et reprendra bientôt ses activités.
En attendant, l’album Te souviens-tu encore, Godin? est en vente dès le 18 mars. www.steveveilleux.com