Quand le violon rencontre la foudre : récit d’une soirée en dualité

Par : Bruno Miguel Fernandes
Ce n’est pas tous les soirs qu’un violon électrique et une guitare sursaturée se partagent la vedette. Lindsey Stirling et Halestorm ne semblent pas avoir grand-chose en commun sur papier, mais sur scène, c’est une autre histoire : deux artistes à l’énergie brute, deux têtes d’affiche féminines qui ont bâti leur réputation à coups de spectacles enflammés et d’expérimentations musicales. Avec leurs nouveaux albums, Everest pour Halestorm et Duality pour Lindsey Stirling, le Duality Tour, c’est justement ça : le choc des genres qui finit en alliance explosive. Et avant de plonger dans le duel annoncé, Apocalyptica a rappelé que les cordes pouvaient cogner aussi fort que des guitares.
Master of Cellos

C’est devant une Place Bell quasi pleine qu’Apocalyptica a ouvert le bal. Le quatuor finlandais, formé de trois violoncellistes et d’un batteur, est né d’une soirée un peu trop arrosée où la réponse à un vide existentiel fut l’amour de Metallica et du violoncelle. Et il faut dire que cet instrument leur va à merveille : avec ses sonorités malléables, il passe de la basse caverneuse à une distorsion électrique qui rappelle la guitare. Le jeu de pédales, notamment lors des solos, était particulièrement réussi.
Le groupe n’a offert que des reprises de Metallica, histoire de souligner la sortie de leur album Apocalyptica Plays Metallica by Four Cellos – Volume 2, près de trente ans après le premier. Dès leur entrée sur scène, ils ont pris d’assaut la foule avec Ride the Lightning et Master of Puppets. Puis, changement d’ambiance : cette fois assis et sans batteur, ils ont enchaîné avec une version douce et tout en finesse de Nothing Else Matters. Le solo, magnifique, s’autorisait des envolées plus lentes, puisant dans la force dramatique du violoncelle. Dans la salle, des murmures accompagnaient l’instant, fredonnant les paroles à voix basse, presque comme si l’on voulait préserver l’intimité du moment. Le groupe a conclu avec Seek and Destroy, un dernier crescendo d’énergie qui a maintenu la foule en haleine et plus que prête pour la suite.
L’art de marier la musique, la danse et l’imaginaire
Wow. Par où commencer pour décrire l’heure de performance de Lindsey Stirling? Déjà, j’ai été pris par surprise par le mashup de Sandstorm de Darude (déjà une chanson fantastique à reprendre) et de Crystallize. Mais y ajouter un second mashup avec Elements, c’était tout simplement du génie. Accompagnée des quatre danseuses qui maniaient de longs tissus fixés à des éventails de couleur pour représenter chaque élément, on comprenait vite pourquoi ce morceau reste l’un de ses plus populaires. Un peu plus tard, l’utilisation de Blue d’Eiffel 65 comme introduction à Roundtable Rival m’a de nouveau laissé sans mots.
Chaque chanson avait sa scénographie, ses couleurs, ses accessoires, souvent en clin d’œil aux vidéoclips, avec cette petite touche geek assumée, mais toujours faite avec goût et classe. Les chorégraphies étaient dynamiques, variées et collaient parfaitement à l’énergie et aux thématiques de chaque morceau.
Et pour ceux qui n’ont jamais vu Lindsey manier son instrument, il faut préciser qu’elle ne fait pas que jouer du violon. Elle valse et danse au rythme des notes, avec des mouvements inspirés tantôt du ballet, tantôt du hip-hop. Et tout ça sans jamais rater une seule note. La voir rejoindre ses danseuses et participer aux mouvements collectifs tout en maintenant sa cadence au violon était franchement divertissant et impressionnant.
J’ai aussi beaucoup aimé l’ajout d’un batteur et de deux guitaristes, en remplacement des beats électro habituels. Un choix judicieux et rafraîchissant, qui ajoutait de la profondeur et un impact plus percutant aux moments forts. Mes oreilles de métalleux ont particulièrement apprécié. Même si la performance restait surtout instrumentale (à part Foreverglow, interprétée par Lindsey), ses mélodies accrocheuses et complexes prenaient toute la place, au point qu’on pouvait facilement en fredonner les airs. Le setlist mélangeait les classiques et des morceaux plus récents, pour finalement se terminer sur une reprise magistrale de Kashmir de Led Zeppelin. Bref : c’était complètement fou.
De la brutalité aux confidences au piano
Après une entracte d’une trentaine de minutes, Halestorm s’est dévoilé derrière un rideau blanc tombé pile sur le drop de Fallen Star, devant un parterre un peu essoufflé et moins dense qu’au début de la soirée. Peut-être l’effet du mélange de styles, pas toujours évident à concilier. Après l’univers poétique et lumineux de Lindsey Stirling, le contraste était frappant : Halestorm débarquait avec toute sa puissance brute. Et c’est là qu’on comprend la singularité du Duality Tour : rassembler sous un même toit deux visions de la scène presque opposées, mais portées par la même intensité. Pour une partie du public venu avant tout pour Lindsey, l’entrée en matière a pu surprendre.
Des titres comme Rain Your Blood on Me, Watch Out! ou K-I-L-L-I-N-G ne font pas dans la dentelle : ça cogne fort, avec une brutalité assumée et un côté agressif qui peut déstabiliser quand on s’attendait à une virtuosité plus lumineuse. Mais cette énergie a permis à Lzzy Hale, chanteuse du groupe et sacrée « artiste rock de la décennie » par Loudwire, de saluer ceux venus spécialement pour Halestorm, tout en remerciant ceux qui restaient pour les découvrir.
La force de Halestorm réside dans la construction de ses mélodies, surtout dans les refrains remplis d’émotions, qui mettent en valeur la voix phénoménale de Lzzy Hale : précise, puissante, parfois rauque, tous les ingrédients du hard rock dramatique et viscéral. Les solos de guitare étaient clairs, vibrants, rapides, et se déployaient sur l’ensemble des chansons.
Ce qui frappe aussi avec Halestorm, c’est la présence de Lzzy Hale sur scène. Elle incarne l’énergie brute d’une rockeuse et la chaleur d’une interprète qui prend plaisir à partager sa passion avec le public. Et au-delà de cette intensité, il y a eu aussi de beaux moments plus intimes. Quand elle s’est retrouvée seule au piano pour Break In et Raise Your Horns, on avait l’impression d’accéder à une autre facette d’elle, plus fragile et personnelle. Ce contraste puissant renforçait encore l’impact du spectacle et montrait à quel point Halestorm sait jouer sur plusieurs registres.
En rappel, Halestorm est revenu avec une surprise que tout le monde espérait un peu en secret : Shatter Me. La pièce culte de leur collaboration avec Lindsey Stirling. Évidemment, Lindsey est revenue sur scène pour partager le moment. La foule a explosé. On était là pour ça aussi : voir ces deux forces féminines se rejoindre, chacune dans son univers, et créer une communion purement électrique. C’était galvanisant, autant sur scène que dans la salle.
Au-delà des genres, une seule énergie
Dans une époque où l’ouverture et la collaboration sont plus nécessaires que jamais, voir trois artistes partager la scène avec autant d’audace et de sincérité, c’est précieux. Je suis aussi reconnaissant d’avoir entendu certaines chansons de Lindsey Stirling, qui m’ont accompagné pendant tant de soirées d’études, revisitées en version rock. Un privilège auquel je n’aurais jamais eu accès sans ce projet commun. Trois univers différents, trois passions entières, un même plaisir de performer son art : ça mérite d’être vécu.