Les légendes ne prennent pas de retraite
Disons-le, c’était un coup magistral de la part de l’International de montgolfières de St-Jean-sur-Richelieu d’intégrer Charles Aznavour à sa programmation, lui qui présente rarement des concerts en plein air. C’est donc samedi dernier le 17 août qu’une foule record était présente pour souligner la 30e édition du Festival.
Sans contredit l’une des plus grandes figures de la chanson française (il a notamment joué et écrit pour Édith Piaf et Johnny Hallyday, écrit un millier de chansons et vendu des millions de disques) Charles Aznavour vient aussi de l’école révolue des gentlemen de la musique de la trempe des Frank Sinatra, Tony Bennet et Dean Martin de ce monde. Aujourd’hui encore, leur standing, leur attitude professionnelle et ce contrôle du spectacle hors pair préservent l’image-type du charismatique chanteur étoilé qui a fait ses armes dans les music-halls et les émissions de télé en noir et blanc. Qu’on les aime ou non, ils inspirent le respect.
Son style musical rappelle ces classiques plans séquences des films d’Hollywood des années ‘50, avec de grandes orchestrations inspirées du jazz où le piano et les cuivres sont à l’honneur.
Le coup d’envoi du Aznavour show a été donné avec Viens m’emporter et La vie est faite de hasards, issues de son plus récent album Toujours paru en 2011. Bien que personne ne semblait connaître ces chansons, tous ont fait la même constatation : les années n’ont en rien altéré la voix de Charles Aznavour. Même après 65 ans de carrière, ce grain de voix unique qui le fait tantôt crooner, tantôt poète maudit est encore présent.
On pourrait voir les compositions récentes comme une faiblesse mais comment en vouloir au chanteur qui souhaite que ses nouvelles pièces deviennent à leurs tours des classiques? Il faut bien les chanter pour que leur destin s’accomplisse!
Après Ce printemps-là et une légère allusion à cet esprit de révolution bouillant chez les jeunes, Mourir d’aimer puis Mon ami, mon Judas, il a interprété en duo la légère Je voyage avec sa fille Katia, qui l’accompagne sur scène comme choriste depuis 1996.
Juste avant d’entamer Sa jeunesse, il nous a récité le premier couplet a capella, simplement, sans en adopter l’air ou le rythme. Cet exercice nous a permis de voir non seulement la musicalité qui se trouve dans les mots de l’artiste mais aussi la poésie qui se dégage de son écriture. Si de nombreuses chansons entendues au cours de la soirée se ressemblaient dans leurs arrangements, leur richesse venait assurément des vers qui en sortaient. Un Ave Maria bien senti avant de replonger dans les souvenirs avec Les plaisirs démodés, Il faut savoir (ah! la chanson d’amour perdu!) et Mes emmerdes.
La formule est la même depuis une dizaine d’année; plus le spectacle avance, plus on recule dans le temps!
Entre ses pièces, Aznavour racontait à la foule des anecdotes comme un grand-père à ses petits-enfants : en étant candide, généreux, attachant. Le charme opère. Il a même fait référence au débat linguistique au Québec en présentant sa pièce She, rebaptisée Elle, montrant que l’âge ne l’empêche pas d’être de son temps.
On ne pouvait le blâmer de faire ça court et avec sobriété, monter sur scène à son âge est déjà un exploit digne de mention, pas besoin de chorégraphie avec ça. Même qu’il est téméraire le monsieur : tournant sur lui-même aux airs de valse des Plaisirs démodés, une main sur l’épaule pour imiter celle d’une femme, j’avais peur qu’il ne tombe et se casse une hanche ou une clavicule!
Entretenir la nostalgie
Quoi de mieux que la sagesse d’un homme de 89 ans et demi pour nous raconter la jeunesse et l’insouciance? L’amour et le temps qui passe sont les thèmes de prédilection que l’artiste aborde dans ses chansons.
Hier encore
J’avais vingt ans
Je caressais le temps
Et jouais de la vie
Comme on joue de l’amour
Et je vivais la nuit
Sans compter sur mes jours
Qui fuyaient dans le temps
On s’entend qu’à côté de ça, #Yolo ça fait assez dur.
Pour éviter de se lasser d’interpréter les mêmes classiques, Aznavour a remanié certaines pièces afin de leur insuffler un peu de fraîcheur. Si l’auditoire tenait mordicus à entendre LA version qu’il connaissait de La Bohème – intouchable, sacrée! – c’est une version presque parlée, slammée à laquelle le public a eu droit samedi. Grand défenseur de l’expression française, Charles Aznavour a démontré son intérêt envers le rap et le slam à de nombreuses reprises dans les dernières années.
Il n’en demeure pas moins que l’original est indéclassable mais la force de ce discours réside encore une fois dans les mots car il a bien raison le poète; aujourd’hui, la bohème, ça ne veut plus rien dire du tout…
Si de grands classiques comme Je m’voyais déjà, Les comédiens, Et pourtant et Non je n’ai rien oublié (For Me Formidable où étais-tu?!) manquaient définitivement à l’appel, Emmenez-moi a quant à elle été parfaite et on aurait bien voulu que le chanteur nous emmène avec lui pour éviter la fin du concert, 1h30 pile après ses premières notes.
Croisons-nous les doigts pour une visite prochaine de Charles Aznavour au Québec, en 2014 à la sortie de son 58e opus, pour chérir cette belle époque et permettre à plusieurs générations de se rassembler une fois de plus sous la voix de ce grand artiste, sans quoi plusieurs ne pourront que rêver de l’avoir connu.
Crédit photo: Jonathan Goulet/MatTv.ca