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Le traditionnel conte des Fêtes de Fred Pellerin

Quand Fred Pellerin et l’OSM font naître un village

Crédit photo : Martin Paquin / Mattv

Par : Bruno Miguel Fernandes

Hier soir, je me suis rendu à la Maison symphonique pour un rendez-vous qui est en train de devenir une tradition moderne : Le traditionnel conte des Fêtes de Fred Pellerin avec l’Orchestre symphonique de Montréal, sous la direction de Kent Nagano. Déjà à la 7e édition, il s’agit d’un mariage entre récit et musique, entre la prose rocambolesque du conteur national et une orchestration qui ne sert pas de décor, mais de partenaire de jeu.

Il y a quelque chose de magique dans le contraste : d’un côté, Fred Pellerin, avec son joual assumé et ses références locales, et de l’autre, la précision quasi chirurgicale de l’OSM, qui transforme chaque détour narratif en paysage sonore.  Dans ce format, la musique ne passe pas entre deux paragraphes. Elle porte le récit dans une émotivité spectaculaire. On est dans un conte symphonique où l’imaginaire a une colonne vertébrale et où l’orchestre a le droit de répondre.

Un spectacle pensé, pas juste raconté

Crédit photo : Martin Paquin / Mattv

Ce conte symphonique n’est pas seulement un concert raconté : c’est un spectacle pensé. La mise en scène par René Richard Cyr, la conception d’éclairages de Luc Drolet et la scénographie de Michel W. Morin laisse toute la place à la parole du conteur, sans l’isoler de l’orchestre. Sur scène, une déco de Noël simple mais efficace, avec ce petit côté vintage douillet : une chaise berçante qui a l’air d’avoir déjà entendu des histoires, peut-être même celle d’une grand-mère qui aurait bercé Fred avant qu’il devienne lui-même porteur des archives de Saint-Élie.

Et il y a aussi ces images qui apparaissent et accompagnent les métaphores sur une grosse boule de Noël suspendue : des visions de village enneigé, parfois même quelque chose qui ressemble à une constellation d’étoiles ou de pages d’un livre de légendes qui virevoltent au gré du vent. Rien de trop envahissant. Juste assez pour soutenir le conte et laisser la magie des fêtes faire le reste.

Une histoire “inventée vrai”

Crédit photo : Martin Paquin / Mattv

Le synopsis est déjà un petit bijou de la logique pellerinienne : l’origine de Saint-Élie-de-Caxton aurait longtemps été un mystère parce que les trois premières pages des archives municipales auraient été déchirées. Alors on fait ce que le Québec fait de mieux quand la vérité manque : on la reconstruit à coups de jases et de souvenirs flous, mais doux…jusqu’à en devenir plus vrai que vrai!

On revisite des personnages connus, on recolle des bouts d’histoire à l’aide de « recoupements » ou callback pas toujours logiques, mais toujours savoureux et imagés. Fred Pellerin raconte en donnant à des détails ordinaires une valeur de légende. Et, autant que ça rit dans la salle, autant que ça écoute aussi. Et c’est là que Pellerin excelle : il prend un mot, le tourne, le retourne, le fait jouer sur sa sémantique, puis il fait réaliser que chaque parole cache quelque chose de sérieux, et ce, sans avoir à faire la morale une seule seconde.

Et même les musiciens avaient l’air bien amusés par les histoires de Pellerin, eux qui devaient surement déjà avoir entendu le tout lors de répétition. Il y a ici une grande preuve du talent et de l’excellente performance du conteur.

Et, au fond, c’est peut-être ça le cœur du conte : ça prend un ensemble, un tout pour fabriquer une mémoire. Une communauté, ce n’est pas juste une adresse. C’est un amas de petites affaires, de gestes, de manies, de récits transmis, qui finissent par construire quelque chose de vrai, d’intemporel. Comme chaque mot construise une aventure, chaque note s’assemble pour en faire une symphonie et chaque rire s’unit dans la joie.

La musique comme deuxième voix

Crédit photo : Martin Paquin / Mattv

Le programme offert par l’orchestre ressemble à une mosaïque assumée : Wagner (l’Entrée des dieux au Walhalla), John Adams (Short Ride in a Fast Machine), Berlioz (Marche au supplice), Brahms (Wiegenlied), Elgar (Nimrod), Beethoven (extraits de l’Ode à la joie). Chaque extrait vient colorer une scène, comme si l’OSM avait sorti une palette de sensations soigneusement choisi aux images racontés. On passe d’un clin d’œil à une montée dramatique, d’un élan symphonique à un moment intime, sans que ça paraisse décousu. Au contraire, le tout collait à la logique du conte, qui est lui-même fait de détours, de surprises, de portes qui s’ouvrent sur d’autres portes. Un moment marquant : Le tremblement de terre de Yuliya Zakharava, qui s’insère comme une secousse contemporaine au milieu des monuments d’une autre époque.

Et Nagano, dans ce rôle un peu particulier de chef du rythme et des paragraphes, dirige avec une précision calme qui rend tout fluide : les changements de ton, les virages narratifs, les respirations nécessaires pour laisser Pellerin atterrir une phrase puis repartir. Un exercice de complicité et d’expérience magnifique à assister : pas besoin d’en faire trop quand tout le monde sait exactement quand se répondre.

Un dernier cadeau dans le bas de Noël

Crédit photo : Martin Paquin / Mattv

Et comme un clin d’œil final, un dernier petit cadeau de bas de Noël : Amène-toi chez nous de Jacques Michel arrangé par Zakharava. Magnifique! C’est le genre de finale qui fait sourire par sa douceur et sa sincérité. Parce que c’est un peu ça, le temps des fêtes : une invitation simple à se rassembler et à se rappeler que le « chez nous » est peut-être une maison, une famille… ou une salle pleine de monde qui écoute la même histoire en même temps.

Dans une fin d’année où tout le monde est un peu à bout de souffle, ce petit cadeau du temps des fêtes fait du bien. La 7e édition du traditionnel conte de Noël est présenté du 17 au 20 décembre 2025 à la Maison symphonique. Et si ça revient l’an prochain, c’est le genre de tradition moderne qui mérite son siège réservé pour bien débuter la période des fêtes dans la joie.

Crédit photo : Martin Paquin / Mattv