Une année théâtrale faste
Par : Marie-Claude Lessard
Audace, originalité, vérité… Voilà comment décrire brièvement la scène théâtrale québécoise en 2016. Les reprises de grands classiques, notamment celle de Roméo et Juliette au TNM, ont séduit, à juste raison, le public et les journalistes, mais les œuvres de création ont encore plus marqué l’imaginaire. Voici un survol des pièces les plus mémorables.
3. Starshit de Julie Renault et Jonathan Caron (Théâtre d’Aujourd’hui)
La beauté de ce pastiche sur les multinationales comme Starbucks réside dans le fait que les auteurs ne font aucunement la morale aux spectateurs. Ils ne sermonnent pas leur public et n’encouragent pas le boycott complet des entreprises internationales. Ils proposent plutôt une pertinente sensibilisation au phénomène. En grossissant (à peine) le mode de vie prodigué dans – et par- ces établissements, les créateurs conscientisent les gens sur le véritable impact de ces emplois étudiants. Ces derniers ne changent pas le monde et ne le feront jamais. Cela peut paraître exagéré, mais quiconque ayant travaillé pour ces compagnies vous dira que ce n’est pas si loin de la réalité… Certes, il est louable qu’une entreprise désire être financièrement rentable, mais faire accroire qu’elle place tous les employés sur le même piédestal est tout simplement insultant et dégradant. Starshit démontre sans faille ce constat. À travers d’innocentes intrigues délicieusement rafraîchissantes entre collègues et des chicanes aux proportions démesurées, une chance que le personnage de Madonna incarne quelque peu la voix de la raison…
L’entrevue réalisée avec les auteurs
2. Pourquoi tu pleures…? de Christian Bégin (TNM)
Écrite par Christian Bégin, qui a bénéficié de la bourse d’écriture Jean-Louis Roux en automne 2015, Pourquoi tu pleures…? se déroule dans une splendide cour arrière signée Max Otto-Fauteux. Les enfants et la mère Bérubé (Sophie Clément) se réunissent pour connaître les dernières volontés de l’homme de la maison (Pierre Curzi). Ce dernier a tellement baigné dans les magouilles toute sa vie qu’il lègue rien de moins que plus de 5 millions à sa famille. La seule condition qu’il impose est l’interdiction de séparer l’alléchante somme de manière équitable.
Cette comédie grave réserve des répliques cinglantes et surprenantes. L’humour est parsemé avec parcimonie et rehausse habilement l’accessibilité du texte dense qui fait drôlement réfléchir. On sait tous que le Québec est corrompu. On sait tous que des choses sales se déroulent sous notre nez. On dit « on », mais ce « on » est plus égoïste que collectif. On sait tous qu’on se fait avoir, mais on se ferme les yeux. Comme les personnages se taisent sur les vérités qui doivent être révélées. Même si les dialogues se répètent un peu et qu’ils tournent les coins ronds sur certaines intrigues, il n’en demeure pas moins que cette pièce est un must, ne serait-ce que pour la complicité et les jeux parfaitement nuancés des comédiens.
1. Après de Serge Boucher (Théâtre d’Aujourd’hui)
©Centre du Théâtre d’Aujourd’hui
La plus récente pièce de Serge Boucher, qui a offert la magnifique série Feux cet automne, déroute, provoque et sème le doute en racontant une histoire fictive grandement inspirée de celle fort médiatisée de Guy Turcotte. Un homme accusé d’avoir assassiné ses enfants (Étienne Pilon) guérit les blessures de son suicide raté dans une chambre d’hôpital avec l’aide de l’infirmière Adèle (Maude Guérin).
Direct et œuvre de fiction à part entière, le texte joue finement avec les minces différences de significations entre comprendre, accepter et pardonner, sans pour autant avoir recours à d’interminables détours et complaisances. Aucune réponse, que des questions. Cette absence de parti pris accentue et nuance la portée du message véhiculé. La complexe relation entre Patrick et Adèle soulève des sentiments contradictoires qui plongent constamment les spectateurs dans un état conflictuel. Extrêmement bien développés et définis, les personnages deviennent rapidement attachants, spécialement Adèle. L’ambiguïté et la perversité malsaine des rapports entre le patient et l’infirmière sont magistralement interprétées par les deux comédiens. La simplicité désarmante de Maude Guérin hypnotise et impressionne. Étienne Pilon s’engage avec intensité dans ce rôle hautement risqué.
Texte corrigé par : Annie Simard