Casse-tête stroboscopique
Par : Annie Dubé
Après Les employés d’Olga Ravn, Cédric Delorme-Bouchard met en scène Membrane au Prospero avec comme outil distinctif sa touche humano-technologique efficace, qui se déploie dans la continuité d’une exploration d’un espace aux airs de science-fiction. Promesse de vous sentir en terrain étranger, surtout si vous avez manqué sa précédente pièce.
Dans une esthétique efficace, quelque part entre la sensualité gluante d’une peau arrachée sans contact et la froidure de la post-humanité existentielle, une quête identitaire sur la solitude se trace dans un casse-tête qui nous fait sentir comme les témoins aveugles d’un monde étranger et futuriste, mais pourtant bien humain dans les questions philosophiques qui traversent le public voyeur.
Lasers, science omnisciente et bruits inquiétants
Avec le talent et la présence scénique de Larissa Corriveau, qui anime magnifiquement son corps mécanique dans une subtile danse des non-dits et d’horreurs psychologiques qui vivent en éprouvettes, on embarque dans ce nouveau vaisseau intangible ; un monde aquatique que l’on devine, sans jamais vraiment l’explorer, car nous sommes plongés au cœur du drame intérieur d’une âme en quête de réponses qu’elle ignore elle-même.
Des corps et des voix, tour à tour dans un chœur narratif qui tourne comme un disque, nous informent et déroulent devant nous le portrait de cette histoire qui fascine et hypnotise. Des bruits nous bousculent et des jets de lumière nous déstabilisent dans nos repères. Je crois que les gens qui n’ont pas vu le très intéressant spectacle précédent risquent d’encore plus y trouver un effet wow, sinon, on se sent dans un terrain à demi familier avec un air de déjà-vu bien que tout soit différent.
Les amateurs d’arts contemporains y trouveront un dépaysement des sens, qu’on expérimente rarement autant dans nos tripes de spectateurs déroutés.
D’après le roman Membrane de Chi Ta-Wei
Adapté par la talentueuse Rébecca Déraspe, le texte, tiré du roman du même nom de Chi Ta-Wei, est impeccablement récité par ses interprète bien synchronisés, mais pourrait peut-être bénéficier d’un peu plus de pathos dans sa livraison tout au long, car les traces de tendresse arrivent de manière tardive en toute fin, et semblent transplantés artificiellement. On se questionne sans savoir si ce serait ou non une erreur de céder à plus de ressentis dramatiques, mais ce n’est pas exactement l’angle que vous vivrez lors de ces représentations. Cela se comprend comme choix de ton post-humaniste et notre sensibilité personnelle finit par compenser le sens du drame qu’on ne constate pas sur les planches stroboscopiques.
On sort de là avec plus de questions que de réponses, ce qui est plutôt une bonne chose dans les arts vivants. Une fois le fil déroulé, la journaliste s’emmêle encore un peu les pieds dans ce qu’elle a compris des vraies et des fausses pistes de cette œuvre unique, qui effleure la peau sans laisser de trace trop claire de son passage, mais qui marque les esprits indéniablement par ses mystères déstabilisants et ses avalements.
Plutôt troublante, ce n’est pas une œuvre qui tombe dans la facilité, et on repart de là avec le besoin de digérer cette membrane omnisciente qui nous enveloppe désormais, curieux que nous sommes de voir la prochaine œuvre du metteur en scène qui laisse intangiblement sa trace sur l’épiderme nos mémoires, même sans nous toucher au cœur frontalement.
À voir pour les explorateurs de l’inhabituel en recherche de pertes de repères. Membrane est présentée jusqu’au 10 février 2024 au Prospero. Pour l’achat de billets, visitez le site Web du Théâtre Prospero.
Texte : D’après le roman Membrane de Chi Ta-Wei
Adaptation : Rébecca Déraspe
Mise en scène : Cédric Delorme-Bouchard
Avec Larissa Corriveau, Evelyne De La Chenelière, Pascale Drevillon, Marie-Christine Lê-Huu, Sébastien René, Ines Talbi
Crédit de couverture : Maxim Paré Fortin
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