Étienne Dufresne réussira-t-il à se saisir de son Excalibur?
© Étienne Dufresne, photo de Noémie Laniel
Par : Myriam Bercier
MatTv.ca vous offre encore et toujours la chronique On vous présente, qui a pour objectif de vous faire découvrir des artistes qui passent sous le radar de la musique populaire. Cette semaine, on atteinte le joli chiffre de la 55e chronique avec Étienne Dufresne.
Étienne Dufresne est un auteur-compositeur-interprète qui était autrefois photographe pour quelques artistes, dont Lydia Képinski et Klô Pelgag. Il s’est lancé dans l’expérience musicale en 2020 avec son premier EP Sainte-Colère qui mêle la synth pop et l’electro folk. Il offrait une introspection sur la société dans laquelle on évolue tout en offrant le portrait d’une génération paralysée par la peur de l’engagement à l’ère numérique. Une pièce comme Rodage, par exemple, exprime la paralysie amoureuse malgré les évidences, alors que Copains met de l’avant cette peur de l’engagement malgré des dates qui se passent bien, le tout saupoudré d’une peur de s’attacher et du ghosting. Fantômes traite de toutes les rencontres passées auxquelles on s’est attachés malgré nous. Foudre, finalement, chercher des réponses à comment on peut vivre tout ça « P’t-être qu’au fond, c’est mieux de voir ça comme un jeu … » nous chante-t-il d’ailleurs.
© Étienne Dufresne, photo d’Étienne Dufresne
Le 7 mai prochain (demain!), Étienne Dufresne sortira son premier album en carrière, Excalibur. Avant, il a fait paraître trois extraits, soit Les Couteaux (inspiré par les conditions des travailleur.se.s qui doivent se soustraire à des conditions difficiles), Jolicoeur (quête de bonheur qui mène vers un exutoire illusoire) et Rien (une chanson qui lui sert de sorte de mise au point). Dans cet album, l’artiste réaffirme son style d’écriture familier dans lequel la justesse des mots dépasse, et de loin, les envolées lyriques. Ce long-jeu offre une sorte d’ode parfois cynique aux épreuves de la vie, parfois vulnérable, audacieuse et nostalgique. Le titre de l’album, Excalibur, représente le fait que les 11 titres qui le composent lui permettent d’atteindre son rêve d’adolescent de vivre de sa musique. Chaque chanson est traversée par des émotions qui animent les grandes quêtes intérieures comme le doute, la résilience, la peur et l’espoir.
J’ai eu la chance de m’entretenir avec Étienne Dufresne la semaine passée par zoom. Nous avons discuté entre autres de ce qui l’a poussé à se lancer en musique, d’écriture automatique, sa live session en 3D et de l’apport d’une date de son coloc pour le texte d’une de ses chansons. Sans plus attendre, voici notre discussion!
Myriam : Qu’est-ce qui t’a amené à faire de la musique?
Étienne : Mes chansons, en tant qu’Étienne Dufresne, ça a commencé quand j’étais tanné de faire tout le reste. J’ai fait beaucoup de photos avant, beaucoup de vidéos, puis je suis tombé dans un gros down de tout ça. Puis je me suis dit : « qu’est-ce qui me ferait du bien? Ben faire d’autres choses. » Puis j’ai commencé à faire de la musique vraiment de ce côté-là. J’en faisais depuis quand même assez longtemps avant ça, mais juste des trucs que pas grand monde a entendu. J’ai eu un trio de folk avec deux amis, on avait lancé des chansons et ça a juste jouer sur Sirius, c’était random, mais ça n’a pas joué nulpart à part de ça. J’ai eu l’expérience de composition un petit peu avant ça, mais les chansons en tant que moi-même, c’est vraiment quand j’ai pogné un gros down de tout le reste puis que j’ai voulu faire ça.
Myriam : Oui, c’était ça ma deuxième question parce que tu t’es frotté à la scène musicale montréalaise avant en tant que photographe, c’est une « écoeurantite » qui t’a poussé à faire ta musique, c’est ça?
Étienne : Ouais, c’est ça, j’étais prêt à essayer d’autres choses, puis là, je me suis dit : quoi de mieux … J’étais sur le chômage à ce moment-là. Là, j’avais du temps, puis j’avais de vieilles compositions qui n’avaient pas fait la cut pour mon ancien projet. Je me suis dit « si je fais juste sortir tout ça dans un EP drette là, et que je gagne un peu d’argent, je l’enregistre » Ça, c’est le EP qui s’appelle Sainte-Colère qui s’est développé, c’est là que j’ai commencé à avoir pas mal d’intérêt mais de gens autour de moi qui faisait déjà ça. Puis c’est comme ça que ça commencé, mais je ne pensais vraiment pas que ça serait comme sérieux quand je l’ai fait.
Myriam : Ah ouais?
Étienne : Ouais.
Myriam : Tu le faisais comme un peu à la blague ou juste pour te défouler plus?
Étienne : Les deux. Puis ce n’était même pas si sérieux, parce que je me rappelle par exemple la chanson Rodage qui commence le EP, c’était littéralement… je l’ai écrit en 20 minutes pendant que mon coloc était sur une date dans le salon. Je me demandais : « de quoi est-ce que je pourrais parler? Ah, du fait que j’aimerais que la date fonctionne pour mon coloc », donc j’ai fait une chanson en 20 minutes. C’était un peu une joke pour vrai. Des fois, ça sort tout seul, pour vrai, des fois ça prend 6 mois puis c’est moins bon.
Myriam : Il y a clairement les dates de ton coloc, mais à part ça, qu’est-ce qui t’inspire pour créer une chanson?
Étienne : C’est mon état d’esprit actuel, donc c’est des choses que je pense à ce moment-là, les trucs que j’ai besoin d’exprimer, les trucs que je ne veux pas m’avouer aussi des fois, genre j’ai de la misère avec tel concept ou je suis quelqu’un de déprimé des fois, mais c’est dans la chanson que ça va sortir. Je fais beaucoup d’écriture automatique, de genres de parole qui sortent un peu tout croche. J’essaye de me dire que… C’est comme si, quand je compose une chanson, je lance des pièces de casse-tête sur une table, puis là je me demande : c’est quoi la chanson là-dedans? Puis là, je le rassemble. Finalement, je comprends quelque chose sur moi à la fin. C’est comme des énigmes que je me lance à moi même. Donc ce qui m’inspire, c’est tout ce qui sort à ce moment-là. Ça peut vraiment être beaucoup d’affaires (rires), c’est très varié.
Myriam : Tu fais de l’écriture automatique? Comment ça fonctionne?
Étienne : J’ai ma mélodie qui joue, puis là je vais la mettre en loop et je vais commencer à chanter des trucs. C’est des mots souvent qui sortent. Par exemple, j’entends le hook du refrain, mais si je te chantais ça, ça a aucun sens. Des fois, juste en trouvant des mots qui riment avec les mots qui sont sortis automatiquement, tu commences à avoir une phrase, dans cette phrase, il y a un sens, donc tu te dis qu’avec ce sens-là, la chanson pourrait parler de ça ou de ça, ça pourrait être le punch du sujet de la chanson. C’est rare que je me dis : « je vais faire une chanson sur quelque chose », c’est souvent la chanson qui me dit elle-même de quoi ça veut parler. Je ne comprends pas vraiment pourquoi puis finalement à la fin je comprends pourquoi je l’ai fait. C’est comme un genre de jeu que j’ai avec moi-même pour garder ça intéressant parce que écrire un texte et le faire fiter dans une chanson, ça ne fonctionne jamais pour moi. Il y a trop de mots ou les mots fitent pas sur le beat. Ça ne m’intéresse pas.
Myriam : Tu fais ta mélodie avant de faire tes paroles tout le temps?
Étienne : La plupart du temps oui.
Myriam : Tu as fait une session live sur YouTube sous forme d’avatar 3D le 22 mars dernier. Comment t’est venu cette idée?
Étienne : On a fait un clip avant, pour la chanson Jolicoeur. L’univers de la chanson, je trouvais ça vraiment le fun. Puis c’était vraiment facile de penser dans ma tête « On ne peut pas faire de spectacle nulpart, donc on va faire un spectacle virtuel. Mais un spectacle virtuel, ça veut dire qu’on peut faire n’importe quoi. Au lieu de se filmer comme tout le monde, on va l’animer à partir des trucs qu’on a déjà construit pour le clip. » Je trouvais ça le fun dans ma tête, c’était vraiment facile de le brander : « ça va être un échappatoire de la pandémie, ça va être moi qui s’en va dans une petite ville. » Ça a tout sorti tout seul de même. L’idée est vraiment venu du clip à la base.
Myriam : Tu vas lancer ton premier album en carrière, Excalibur, le 7 mai. Peux-tu nous parler un peu de cet album? Qu’est-ce qui attend les auditeurs?
Étienne : Musicalement, je trouve, je n’ai pas beaucoup de background, mais c’est le truc dont je suis le plus fier et c’est également les chansons où je me livre le plus personnellement et de façon vulnérable sur certains trucs. Je suis vraiment content de la composition, comment ça s’est passé. C’est un album qui était fait à moitié avant et à moitié pendant la pandémie. Donc c’est le fun de savoir que des trucs dont je voulais parler avant la pandémie, qui ont vraiment pris du sens pendant, comme la distance, avoir besoin d’échanges avec des gens, le contact, la famille, tout ça, ça a pris son sens avant donc ça s’est vraiment répondu dans ces deux époques-là. Sinon, je trouve que c’est un album qui est vraiment le fun. Je trouve qu’il s’écoute bien, il y a autant des chansons vraiment pop que des chansons très musicien, très assumées… pas virtuose là, mais assumées comme plus progressif, ce que j’aime. Donc je trouve que c’est bien dosé dans ce sens-là. Je ne pensais pas que ça allait donner ça, honnêtement, je suis vraiment, vraiment content.
Myriam : Comment s’est passé la création de cet album?
Étienne : Encore une fois, ça a été assez rapidement. Il y a des chansons sur l’album qui étaient prêtes, qui, en fait, étaient faites pour le EP que je n’ai pas pris, que j’ai retravaillé. Ça a été le fun. J’ai pu collaborer avec Félix Petit à la réalisation, Félix Petit qui est une très belle découverte pour moi, c’était le fun de prendre mes démos de chambre, d’amener ça à lui, de réorganiser ça, de rendre ça plus épuré, des fois de rendre ça vraiment plus chargé aussi. Puis j’ai quand même fait un gros laisser-aller sur… Je suis très control freak dans la vie, musicalement, je veux faire mon visuel. Mais là, cette fois-là, j’étais content de pouvoir donner ça à quelqu’un et de pouvoir partager. Puis pour vrai l’expérience a été vraiment vraiment géniale. Puis on a enregistré cet été, dans le genre de faux post-covid, quand tout le monde pensait que c’était fini mais que ça ne l’était pas. Puis il y avait tout le truc des dénonciations en même temps, c’était comme apocalyptique comme été, il se passait plein d’affaires. On a commencé à enregistrer drette quand ils ont permis que les studios rouvrent, genre le lendemain de la réouverture. On a sauté sur l’occasion, on a commencé à le faire, ça s’est fait vraiment rapidement et on était super content du résultat. Pour moi, ça s’est vraiment bien passé, je n’ai pas eu de gros problèmes, ça a bien sorti. C’était vraiment, vraiment beaucoup de job, de la job mais que ça ne te dérange pas de travailler pour parce que c’est le fun au final. C’est une belle expérience.
Myriam : Justement, tu viens d’en parler, c’était une de mes questions : c’est toi qui signes habituellement le visuel de ton projet. Qu’est-ce que tu essaies de montrer de plus que ce que ta musique te permet déjà d’exprimer?
Étienne : Je suis quelqu’un qui pense visuellement beaucoup, je suis quelqu’un de visuel, c’est difficile pour moi, même dans mes paroles, des fois j’essaie d’exprimer des trucs que quelqu’un pourrait voir parce que j’aime ça raconter visuellement. Pour moi, c’est comme un bonus, de pouvoir dire : « si tu écoutes la chanson et que tu vois la pochette, tu peux voir des éléments de la pochette qui sont dans les chansons, des trucs comme ça » Pour moi, c’est juste complémentaire au final. J’aime ça que tout soit mis dans le même… Ça vient toute de la même place au final, je trouve que ça se complémente beaucoup. Je trouve que tu peux… je ne sais pas. Il y a des gens souvent qui écoutent des vinyles et qui mettent la pochette genre sur la table tournante et je trouve que ça va être le fun avec cet album-là parce que tu vas pouvoir voir des trucs dans la pochette qui ont rapport aux chansons. C’est réfléchi un peu comme ça.
Myriam : Qu’est-ce qui t’attend en 2021? Peut-être plus à l’été 2021, est-ce que tu as des projets?
Étienne : Les spectacles hein, on aimerait dont que ça recommence, tout le monde dit ça. C’est un peu difficile côté spectacles je te dirais parce que là c’est toutes les programmations de l’année passée qui sont reprises en ce moment, et à moitié. On n’est vraiment pas prioritaire nous, dans notre truc promotionnel, parce qu’on était supposé sortir… on passe un peu après ce qui n’a pas joué l’été passé. J’ai une belle équipe chez Press, ils m’encouragent beaucoup à pousser pour des trucs plus simples. On va voir, mais il n’y a pas grand chose qui nous attend à date officiellement, mais ça se peut que justement au mois de mai, avec la vaccination, que ça débloque d’un coup. On est alerte, on est prêt, mais il n’y a encore rien de sûr.
Myriam : Si tu pouvais prendre ma place de journaliste pour une question, quelle question te poserais-tu, en y répondant?
Étienne : Je pense que je me demanderai peut être… j’ai l’impression que j’aimerais ça me poser une question un peu comme dans le futur. Genre, tu es dans le futur et tu veux poser une question au surtoi, par exemple, est-ce que t’es content des choix que tu as pris dans tes collaborateurs? Est-ce que tu es content d’avoir collaboré avec telle personne, est-ce que tu es content d’avoir choisi cette équipe-là, est-ce que tu es content d’avoir fait ces choix-là ? Pour répondre à cette question-là à moi-même, de quelqu’un qui se posait beaucoup plus de questions avant, je pense que l’équipe que j’ai choisi et les gens autour de moi qui m’aident pour faire ça, c’est la meilleure équipe que je pourrais avoir, le meilleur monde autour de moi. Puis j’ai aucun regret en ce moment des choix que j’ai dû faire vraiment rapidement au début. Je pense que suivre mon instinct par rapport à ça, c’était vraiment mieux. Mais je ne sais pas là. Je pense que c’est une question que je me poserais pour me rassurer au début. Mais je suis comme pas mal rassuré là-dessus.
1. Ton lecteur de musique plante sur une île déserte, tu peux seulement écouter une chanson, c’est laquelle?
Microdose – Fred Fortin
2. Ta chanson de rupture préférée?
Nine Inch Nail – Only
3. Ta chanson d’amour préférée ?
Mac Demarco – My Kind of Woman
4. Un.e artiste que tu aimerais que les gens connaissent davantage ?
Amen Dunes
5. Si tu pouvais écouter un seul album pour l’année à venir, ce serait lequel?
Weyes Blood – Titanic Rising
6. La chanson qui te rend le plus heureux ?
You’ve Got a Friend de Carole King
7. Un.e artiste / groupe qui t’inspire beaucoup ?
le groupe Clipping.
8. La chanson qui t’obsède en ce moment?
Aux marches du palais – Marie Laforêt
9. Une chanson que tu aimerais avoir écrite?
Miki Dora – Amen Dunes
10. Ta chanson (à toi en tant qu’artiste) préférée?
Excalibur