S’embrouiller dans les perceptions
©Page Facebook officielle du Théâtre des Hirondelles
Par : Marie-Claude Lessard
Pour sa saison 2017, le Théâtre des Hirondelles pimente la formule éculée de la comédie d’été en proposant Pain Blanc, une œuvre qui préfère aborder avec une légèreté sérieuse (oui, oui!) la dépression plutôt que d’enchaîner les rires aux deux minutes. Ce choix audacieux rapporte tellement qu’on espère une tournée!
Les auteurs Mélanie Maynard et Jonathan Racine souhaitaient parler du regard des autres, et plus précisément de l’influence qu’exerce la perception des autres sur le jugement que nous portons sur l’image que nous projetons. Chacun des personnages de Pain Blanc gère différemment cette notion de regard.
©Page Facebook officielle du Théâtre des Hirondelles
Ancienne choriste, maintenant blogueuse sur le web qui n’a point connu la gloire qu’elle espérait, Loraine (Louise Portal) masque sa honte en prétendant mener une vie luxueuse et épanouie dans laquelle elle se perd graduellement. Tout le contraire de sa fille Marie-Claire (Mélanie Maynard), qui a en horreur de ce faux bonheur. Souffrant de dépression, elle est obsédée par le désir de tenir tête à sa mère qui l’a négligée et d’enfin développer une certaine confiance envers ses merveilleuses capacités. Lors de vacances dans un chalet, le concours culinaire La Miche d’Or changera à jamais la dynamique reliant la mère et la fille. Robert (Jean Maheux), le propriétaire plutôt vieux jeu des chalets, et Dany (François-Étienne Paré), le journaliste urbain ayant besoin de repos, apprendront également des deux femmes.
©Page Facebook officielle du Théâtre des Hirondelles
Dans une ambiance conviviale, les créateurs transmettent efficacement leurs réflexions en manipulant allègrement les spectateurs avec des revirements inattendus, bousculant ainsi leurs vision des choses. Sans s’esclaffer aux larmes, le public s’attache irréfutablement aux protagonistes en se reconnaissant dans leurs questionnements et cheminements personnels. Les interactions entre les personnages, autant celles mettant en vedette le quatuor que celles réalisées en duo, captivent grâce à des répliques authentiques qui dévoilent le caractère de chacun avec une douceur et une lenteur bienvenues.
La volonté d’offrir du théâtre d´été différent se reflète également dans la scénographie. Dès l’instant où le rideau s’ouvre, un générique présentant toute l’équipe de création s’affiche sur les murs du chalet, conférant ainsi à Pain Blanc un aspect cinématographique qui se prête magnifiquement aux propos et aux angles choisis.
©Page Facebook officielle du Théâtre des Hirondelles
Évoluant dans un splendide décor de Martin Fontaine, les acteurs tirent admirablement leur épingle du jeu. Grâce à leur talent et leur expérience, ils naviguent superbement dans les caractéristiques stéréotypés des protagonistes pour les rendre crédibles. Jean Maheux s’en donne à cœur joie dans les blagues et les valeurs de mon’oncle sans toutefois être trop cliché. Mélanie Maynard rélève particulièrement le défi avec brio, et ce même si, lors des premières minutes, sa posture courbée et son léger bégaiement laissent présager une performance ridicule d’un personnage agissant comme l’idiot de service. La timidité et les faiblesses de sa Marie-Claire parviennent à émouvoir, surtout que les spectateurs sont à même de comprendre les raisons de leur existence. La tension entre Mélanie Maynard et Louise Portal explose à l’intérieur d’une opération scénique happant de plein fouet le public. Les comédiennes s’envoient la balle avec un abandon alléchant. Alors que Marie-Claire s’emporte violemment, Loraine reçoit cette colère dans un crescendo de tristesse tout en nuances. Un grand moment qui n’avait point besoin d’être accompagné d’une trame sonore pour bouleverser, aussi magnifique Experience de Ludovico Einaudi soit-elle.
©Page Facebook officielle du Théâtre des Hirondelles
Au final, Pain Blanc réussit sa mission première de faire réfléchir les spectateurs sur leurs perceptions de soi et de l’autre, tout en les convaincant de trouver le juste milieu dans leurs projets de grandeur.
Il ne reste que six jours de représentations de Pain Blanc au Théâtre des Hirondelles. Plus de détails ici.
Texte révisé par : Marie-France Boisvert