Magillah ou l’art du cocktail réussi…
©Site Internet officiel de Magillah
Par Marilyn Bouchain
De l’apport de la communauté juive ashkénaze (Europe de l’est) au paysage culturel de Montréal, on ne retient généralement que Schwartz’s et sa viande fumée, St-Viateur Bagel et… ses bagels (!), le Milend et ses Loubavich en chapeaux noirs et, parfois sans le savoir, l’atmosphère inimitable des chansons de Léonard Cohen. Le compositeur-musicien-interprète Henri Oppenheim a choisi, lui, de nous plonger au cœur de la poésie yiddish montréalaise au travers de sa création De l’autre côté du poème : nouvelles chansons Yiddish.
Accompagné de sa formation Magillah (Julien Patrice, Blanche Baillargeon et Michel Emenau), sur une mise en scène de Pierre Labbé, c’est une dizaine de textes écrits entre 1919 et 1965 qu’il a brillamment habillés de musique, naviguant entre pop, folk, rock, musique klezmer et même tango ! Une diversité qu’annonce en prémice le parterre d’instruments occupant la scène et la pénombre. Batterie, clavier, tambourin, accordéon, contrebasse, basse, guitare acoustique, guitare électrique, violon (et quel violon !) suggèrent la rencontre des genres… Que la suite du spectacle confirme !
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Introduit par de courtes narrations jouant sur les clichés de la culture juive avec l’humour grinçant qui lui est propre, chaque morceau est un univers poétique et musical inattendu, fait de mixité artistique, d’agencements subtils qui laisse l’amateur de musique traditionnelle interdit. Ainsi, dès le premier morceau, le tempo, les chœurs (Blanche Baillargeon, Henri Oppenheim, Julien patrice) et l’interprétation (Henri Oppenheim) pop-folk s’allient aux sonorités germaniques de la langue et aux frasques du violon pour surprendre le public. Qu’on ne s’y trompe pas : le ton est donné, mais pas le mode d’emploi !
Car, alors que l’on se frustre de ne comprendre de ce poème que le vibrant « Montréal » qui le commence, les couplets en Français s’égrènent au fil des chansons, levant le voile sur le mystère des paroles. Alors que l’on pense avoir saisi que sur une trame pop folk, le chant et le violon seront la voix de la tradition, ce dernier prend des accents de la Nouvelle-Écosse, nous transporte à Halifax point de chute des immigrants venus en bateau. Alors que conquis par un tango, l’on abandonne ses envies de musique klezmer, ce même violon, hypnotique et omniprésent maître de cérémonie, se lance dans une époustouflante cavalcade qui nous laisse échevelés !
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Vous l’aurez compris, De l’autre côté du poème : nouvelles chansons Yiddish ne s’aborde pas avec des attentes préconçues. Il faut y venir l’esprit ouvert, prêt au métissage, aux hybridations-surprises. Hommage rendu par quatre artistes de talent aux poètes de l’immigration juive du début du XXe siècle, ce spectacle est à l’image de Montréal : au carrefour des autres et définitivement lui-même.
Texte révisé par : Ho-Chi Tsui